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intéressantes. Hum ! que d’écriture ! Et dire qu’il y a des gens qui lisent cela tous les jours!... (Il lit difficilement.) Moscou!... Stamboul!... Ah! voici... «Sa hautesse, sur le rapport de son ministre de l’intérieur, a daigné accorder une pension de douze mille piastres à Hamid-Bey, établi depuis quelque temps à Césarée. Elle a élevé Ahmet-Effendi, de la même ville, à la dignité de conseiller, et Osman-Aga au grade de colonel. Elle a aussi décerné une décoration en diamans à Ali-Bey, qui, comme les précédens, a bien mérité de son souverain en résistant aux séductions d’un vieux conspirateur... » Que signifie cela?... Un vieux conspirateur!... C’était à moi que mes honorables amis devaient s’adresser. (Un eunuque apporte les lettres.) A mon tour enfin!... Quelque chose me dit que mon sort est là-dedans. Si ma lettre avait produit tout l’effet que je puis en attendre, si même, avant l’envoi de la belle esclave, j’étais rappelé ! Cela n’est pas impossible, et cela me tirerait d’un grand embarras. Si cela était en effet, je n’aurais qu’un reproche à m’adresser : ce serait de ne pas avoir assez compté sur la mémoire... sur la reconnaissance... du fils... Voyons d’abord qui m’écrit. «Le ministre de l’intérieur!» Mash’Allah! mon ennemi le plus acharné ! (Lisant.) « Sa hautesse, ayant été informée par des personnes honorables du mauvais usage que vous faites de la position qu’elle avait daigné vous laisser, a résolu de vous retirer enfin le pouvoir dont vous n’êtes plus digne; elle a nommé Méhémet-Pacha gouverneur à votre place, et elle vous engage à vous retirer tranquillement à la campagne, sur la frontière de Perse, pour vous y faire oublier, vous et vos intrigues. Je ne doute pas que vous ne vous empressiez d’obtempérer à ses ordres. » (Erjeb-Pacha accablé laisse tomber la dépêche qu’il vient de lire. Lindaraza la ramasse et la parcourt des yeux.) Je suis un homme mort!... D’où me vient ce coup?

LINDARAXA.

Ne reconnaissez-vous pas les bons offices de vos amis? Ce sont eux qui ont obtenu des places en dévoilant les complots d’un conspirateur disgracié, à ce que dit le journal.

ERJEB-PACHA.

Quoi! ce vieux pacha... ce serait... Ah! ma sœur, quelle idée!... Oui, tout est possible maintenant! Le monde est désormais couvert pour moi d’un voile épais... Je ne me reconnais plus!... Quelle journée! Qu’étais-je ce matin? Que suis-je à cette heure? Que me reste-t-il?

LINDARAXA.

Moi, mon frère, mon amitié fidèle et mon dévouement.

ERJEB-PACHA, sans l’écouter.

Vous avez raison, ma sœur, il me reste la conscience de ne pas avoir mérité mes malheurs; il me reste la protection d’Allah, qui n’a pas cessé de veiller sur la vieille Turquie. Espérons qu’il fera triompher la bonne cause!


CHRISTINE TRIVULCE DE BELGIOJOSO.