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d’Halil. Le fils adoptif d’Erjeb-Pacha aller en Europe ! le midir Halil-Bey, vivre en homme civilisé ! c’est vraiment de l’impiété toute pure. Si pareille chose avait lieu, le temple de la Mecque n’aurait plus qu’à s’écrouler… Je serais perdu de réputation. Où donc a-t-il appris, le malheureux enfant, qu’il y a une Europe ? Qui lui a parlé de science et de civilisation ? Ce n’est certes pas moi qui ai prononcé devant lui ces noms abominés. Je crains bien, ma sœur, que vos discours imprudens ne soient pour beaucoup dans cet acte d’extravagance.

LINDARAXA.

Je ne puis le nier, mon frère, j’ai dit à mon neveu qu’il y avait un monde en dehors de notre province, que ce monde n’était pas habité par des Osmanlis, et que les nations étrangères étaient plus instruites que nous. Si vous pensez que j’aie contribué par ces discours à sa détermination, je me reconnais coupable, et je vous en demande pardon. Croyez pourtant que je n’ai rien fait de plus.

ERJEB-PACHA.

Et c’est bien assez ! Quel besoin aviez-vous de lui apprendre de pareilles choses ? À quoi bon ? Pourquoi ne pas le laisser dans sa bienheureuse ignorance ? Avez-vous vu cet Occident dont vous parlez à tort et à travers ? Êtes-vous sûre, pourriez-vous jurer qu’il existe ? Et puis avez-vous réfléchi au tort que de telles billevesées pouvaient lui faire, aux obstacles qu’elles sèmeraient sur sa route ? Ah ! femme imprudente ! Moi qui avais eu si grand soin de ne rien lui apprendre ! À quoi m’a servi de lui interdire la lecture, puisque vous l’avez instruit par vos discours de tout ce qu’il pouvait rencontrer de plus mauvais dans les livres ? Ah ! la faveur divine et la protection du prophète vont se retirer de ma maison ! Jeûnez, ma sœur ! (A ses esclaves.) jeûnez, mes amis ; imposez-vous de dures pénitences, pour détourner de moi la colère d’Allah ! Ou plutôt laissons maintenant ce sujet douloureux. J’avais une grave communication à vous faire… Pourquoi donc mes femmes, que j’ai fait appeler, ne sont-elles pas ici ?

LINDARAXA.

Hélas ! mon frère, faut-il vous le dire ? On cherche partout la Circassienne Adilé et votre femme Ansha. Si quelques soupçons échangés entre Zulma et Aïxa sont fondés, il y a une affreuse trahison à craindre. On a trouvé dans la chambre d’Adilé un habit complet d’Albanais, et il paraît trop certain qu’Adilé a réussi à s’évader du harem avec Ansha…

ERJEB-PACHA.

S’évader ! À quoi servent donc mes esclaves ? (A ses esclaves.) Qu’on se hâte, que l’on parcoure toute la ville, que l’on affiche le signalement des fugitifs. (Quelques esclaves sortent.) Ah ! ma sœur, quel désastre ! Saviez-vous que cette Adilé n’était qu’un chien d’infidèle déguisé pour mon déshonneur ?… Mais où sont donc Zulma et Aïxa ? Je les avais fait appeler. Elles méconnaissent donc aussi mes ordres ?

LINDARAXA.

C’est encore un triste accident qui les empêche de se présenter devant vous.