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SCENE CINQUIEME.
LINDARAXA ET ERJEB-PACHA.


LINDARAXA.

Eh bien! que vous en semble, mon frère? Êtes-vous satisfait?

ERJEB-PACHA.

Complètement, ma sœur, complètement, et je ne vois pas ce que vous trouvez de mystérieux en cette jeune fille. Son cœur est pour moi un livre tout grand ouvert. Le sentiment qui absorbe en elle tous les autres, c’est, hélas! son amour pour moi. J’ai tout fait pour ne pas le lui inspirer : j’ai évité sa présence, je me suis pour ainsi dire, et vous le savez bien, ma sœur, dérobé à ses regards supplians. Mon désir était de lui inspirer un attachement presque filial, suffisant pour la rendre soigneuse de mes intérêts et point assez vif pour la gêner dans l’exercice de ses nouveaux devoirs. Dieu me préserve de porter un regard audacieux sur un joyau réservé à mon vénéré maître! Mais vous autres femmes, vous êtes si inflammables!

LINDARAXA.

Mais vous vous trompez, mon frère. Vous vous figurez que nous ne songeons qu’à l’amour, tandis que, je vous le garantis, nous avons aussi d’autres soucis.

ERJEB-PACHA.

Vous parlez pour vous, ma sœur, et vous oubliez que vous formez une exception fort rare. Élevée à Stamboul dans la société des Francs et des Franques, vous avez acquis des idées et des connaissances auxquelles les femmes d’Asie sont complètement étrangères. Quant à ces dernières, croyez-en mon expérience, elles n’ont d’autre pensée que de plaire à l’homme qui les possède. Voyez plutôt Adilé... Que faire pour éteindre cette flamme intempestive? C’est sur vous que je compte, ma sœur. Prenez-vous-y avec adresse. Faites comprendre à cette jeune esclave que mon avenir dépend du succès de sa mission. Rien n’est au-dessus de votre habileté, et si mon plan s’exécute, songez-y donc, c’est le vizirat qui m’attend!...

LINDARAXA.

Oui, mon frère, je vous comprends. L’entreprise est difficile, mais je ne négligerai rien pour réussir.

ERJEB-PACHA.

Allons, je vous quitte, ma sœur. Allah fera triompher la bonne cause.


III. — L’ESCLAVE.

(Une autre pièce du harem.)

HALIL-BEY, FATMA.


HALIL-BEY.

Fatma, Fatma, ne refusez pas de m’entendre !