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pas étonné en effet qu’elle eût essayé d’entraver sa carrière, après avoir vainement attendu que la mort me le ravît.

FATMA.

Si c’est de moi que vous parlez, seigneur, Dieu m’est témoin...

HALIL-BEY, avec emportement.

Dieu m’est témoin à moi que je ne veux plus voir ma mère Fatma[1] humiliée ainsi chaque jour. Ma détermination est bien arrêtée, et si vous ne changez de conduite pour elle, cette maison ne me verra plus.

ANSHA.

Voilà comme il me répond ! voilà comme il me traite ! Ah ! mon Dieu ! suis-je assez malheureuse? Suis-je ou ne suis-je pas sa mère après tout? Est-ce Fatma qui l’a porté dans son sein et qui l’a mis au monde?

LINDARAXA, gravement.

Vous l’entendez, Halil. En répondant ainsi à Ansha, vous ne faites que l’irriter davantage. En voulant défendre Fatma, vous aggravez sa position.

HALIL-BEY.

Vous avez raison, ma tante, et je vous remercie de m’avoir averti. Évidemment c’est Ansha qui est ma mère, puisque Dieu l’a voulu ainsi, et je ne dois pas lui manquer d’égards. Je ne lui en manquerai pas, je vous le promets à vous, ma tante, pourvu qu’on cesse de persécuter Fatma, et surtout qu’on ne la persécute pas à cause de moi.

ERJEB-PACHA.

Parlons d’autre chose. (Silence.) Je désire m’entretenir en particulier avec ma sœur. Halil, accompagnez votre mère dans son appartement.

HALIL-BEY.

Ma mère sait marcher toute seule, et j’accompagnerai, qui il me plaira.

ZULMA.

Votre excellence n’a pas daigné m’adresser une seule petite parole.

AIXA.

Si vous n’avez d’yeux et, d’attentions que pour Ansha, il fallait vous contenter d’elle pour épouse.

ERJEB-PACHA.

Eh quoi! toujours de la jalousie! (Avec une coquetterie digne.) Je sais bien que la jalousie est fille de l’amour, et qu’elle constitue l’une des infirmités du cœur féminin; mais il y a un temps pour tout, mes chéries. Ne voyez-vous pas que je suis aujourd’hui très gravement préoccupé d’affaires qui ne sont nullement de votre ressort? Je n’ai parlé qu’à Ansha, dites-vous, et vous voilà piquées, boudeuses, furieuses! Mais vous savez bien que son fils est le principal sujet de ces préoccupations qui m’absorbent. Non, il n’y a rien en cela qui dénote une préférence dont votre amour puisse s’offenser à bon droit.

ANSHA.

C’est bien, seigneur, rassurez-les; c’est très flatteur pour moi. Allez, vous ne méritez pas...

  1. Le nom de mère se donne en Orient à toute femme à laquelle on veut témoigner du respect.