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devoir se contenter d’une femme dont les enfans mouraient aussitôt qu’ils étaient nés, nous savons cela; mais que voyez-vous là d’extraordinaire? Tout homme eût agi de même à sa place, soyez-en convaincue.

FATMA.

Je ne me plains pas de la détermination du pacha, et Dieu sait que je ne lui en ai jamais fait de reproches !

ANSHA.

Aussi bien, à quoi cela vous eût-il servi, si ce n’est à vous rendre encore plus importune?

FATMA.

C’est de mon sort, c’est de mon triste sort que je me plains. Je n’accuse que ma déplorable étoile. Et vous, qui me traitez ainsi, oubliez-vous que j’ai été comme une mère pour votre enfant, que j’ai passé de longues nuits à son chevet quand nous étions menacées de le perdre? N’ai-je pas, quand il souffrait, pleuré avec lui, avec vous? Vous devriez avoir quelque pitié pour moi, ne fût-ce qu’en considération de ma tendresse pour lui.

LINDARAXA.

Ce que Fatma dit là est d’une vérité incontestable, Ansha. Vous la traitez toujours en rivale, mais elle n’a pas pour votre enfant les sentimens que le fils d’une rivale pourrait lui inspirer.

ANSHA.

Oui, je sais bien que vous prenez toujours son parti contre moi. Ah! mon Dieu, qu’une femme préférée de son mari est à plaindre! Tout le monde se ligue contre elle.

LINDARAXA.

On ne vous reproche pas la préférence du pacha, mais bien la manière dont vous en abusez. (Un eunuque paraît à la porte et annonce à haute voix : Le pacha! Toutes se lèvent.)


SCÈNE DEUXIÈME.
Les PRÉCÉDENS, ERJEB-PACHA, HALIL-BEY. (Ils entrent sans rien dire, font de la main un léger salut à droite et à gauche, et vont s’asseoir sur les coussins. Les femmes restent debout . Silence.)


ERJEB-PACHA.

Ansha, votre fils m’afflige. Il vient de déclarer, en présence de plusieurs personnages influens, qu’il refusait la place de gouverneur que j’ai obtenue pour lui et la femme que je lui destine. Ces personnages sont mes amis, et, qui plus est, ils ont besoin de moi; mais ce n’est pas une raison pour tout dire en leur présence. Prenez exemple sur votre père, jeune homme, et n’oubliez jamais la prudence. (Se tournant de nouveau vers Ansha.) Comprenez-vous d’où peut lui venir un semblable caprice, et ce qu’il signifie?

ANSHA.

Non, seigneur; en vérité, non. S’il n’écoutait que mes conseils, il ne se montrerait pas ainsi indigne de vos bontés; mais il est d’autres avis qu’il préfère aux miens, et... vous savez de qui je veux parler.

ERJEB-PACHA.

Je ne le sais que trop, je sais qu’il existe ici une femme pour laquelle la vie et les succès de mon fils sont un sujet de colère et d’envie. Je ne serais