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main de votre fille, que vous m’avez promise lorsqu’elle vint au monde. Quel âge a-t-elle maintenant?

HAMID-BEY.

Douze ans révolus.

ERJEB-PACHA.

C’est à merveille. Halil va en avoir dix-sept; ce sera un couple très bien assorti. Mais ce n’est pas tout : sa hautesse, mon vénéré maître, a daigné nommer mon fils mudir[1] de l’un des districts qui forment ma juridiction. C’est un premier pas vers de plus hautes dignités dont mon fils saura se rendre digne.

HAMID-BEY.

Il n’a qu’à suivre les traces de son illustre père.

AHMET-EFFENDI.

On peut dire de lui qu’il a sucé la science de la politique avec le lait.

ERJEB-PACHA.

Je me flatte en effet de l’avoir bien préparé au gouvernement de son pays. Sa santé délicate lui interdisait trop d’application. Je n’ai donc pas voulu faire d’Hamil un lettré; mais pour parcourir dignement la carrière des emplois publics il n’est pas nécessaire de savoir lire ni écrire. Il n’y a pas de petit kadi qui n’ait un secrétaire. A plus forte raison...

OSMAN-AGA.

Avez-vous déjà fait choix d’un serviteur capable pour accompagner votre fils dans sa nouvelle résidence?

ERJEB-PACHA.

Plusieurs candidats se sont présentés, mais je n’ai encore rien décidé. Je choisirai naturellement celui qui me sera recommandé par le protecteur le plus puissant.

HAMID-BEY.

Votre profonde sagesse se montre dans les moindres détails.

ERJEB-PACHA.

Ah! les détails!... Il n’est point de petits détails pour un véritable homme d’état! Mais je veux maintenant, si vous le trouvez bon, vous présenter le nouveau mudir. (Il frappe des mains, un esclave s’avance et se prosterne.) Allez dire à son excellence Halil-Bey que je le demande. (L’esclave se prosterne encore et sort. Long silence pendant lequel on boit et on fume.)


SCÈNE DEUXIÈME.
Les PRÉCÉDENS, HALIL-BEY. (Il est très mince, et sa taille grêle et un peu enfantine semble plier sous le faix de son nouveau et pesant costume.)


ERJEB-PACHA.

Approchez, Halil; ne craignez rien. Vous avez cessé ce matin d’être un enfant. En revêtant ce costume, qui convient à la dignité dont sa hautesse vous honore, vous êtes devenu un homme.

  1. Mudir est le titre du gouverneur d’un district. Le mudir est au-dessous du kaïmacan et au-dessus du mogtar (chef d’une commune).