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LES POÈTES DES PAUVRES EN ANGLETERRE.

d’un ton plus animé ; elle tendit de plus en plus à sortir du domaine des abstractions littéraires et à se jeter dans les réalités. Elle intervint dans les débats politiques, ou elle s’adressa plus directement à la passion ; elle fit parler le pauvre, au lieu de le décrire. C’est ainsi que les poètes qui demeuraient étrangers à la politique furent cependant plus passionnés et plus ardens. L’école philosophique et morale se continua, mais en se transformant ; puis, renonçant à raconter et à peindre, elle prêta aux pauvres des plaintes vives et des chansons éloquentes. Elle devint lyrique avec Thomas Hood.

Lorsque les pauvres délibèrent sur la place publique, et même lorsqu’ils se révoltent, tous ne répondent pas à l’appel, beaucoup ne prennent part ni à l’agitation ni au combat ; mais ils voient d’autres s’agiter et lutter, et, quoique, par devoir ou par timidité, ils ne suivent pas cet exemple, ils comprennent que ceux-là défendent leur cause. Ils sont persuadés en même temps que leurs droits s’accroissent de tout le mérite de leur soumission. Aussi serait-il déraisonnable d’exiger que leur plainte ne fût pas plus vive. Il est si naturel, quand les idées de leur temps ont pris un autre cours, qu’ils ne regardent pas leur misère comme nécessaire et fatale, et que d’honnêtes gens, incapables de menacer le riche indifférent, se croient fondés en justice à l’accuser ! Tels étaient les pauvres de Thomas Hood.

Ils étaient en grand nombre, les malheureux qui assistaient aux émeutes sans y figurer, et voyaient passer le désordre sans le grossir. Cette multitude honnête ou craintive s’accroissait encore de ceux qui sortaient découragés des rangs du chartisme. L’armée des pauvres est une redoutable puissance, quand elle a formé ses rangs et aligné ses bataillons ; mais il n’en est pas que le temps ou les revers mettent plus aisément en désarroi : tout engagement malheureux y fait des déserteurs, et une bataille perdue suffit quelquefois à la disperser entièrement. C’est alors le moment décisif ; une société qui veut vivre doit le mettre à profit pour désintéresser ces soldats de la faim, et, se montrant chrétienne par prudence, si ce n’est par vertu, empêcher le ralliement de l’émeute. Telle a été la situation de l’Angleterre dans la déroute du chartisme, et ce sera son honneur de l’avoir comprise ainsi. Thomas Hood a été contemporain de la lutte et de la dispersion du chartisme ; il l’a vu tomber, sinon périr. En soutenant la cause du pauvre, il semble qu’il plaide pour un vaincu ; il s’adresse à la générosité du riche, mais il n’oublie pas d’avertir sa prudence. On dirait un de ces hommes de paix et de charité qui interviennent après les luttes sanglantes, et qui, demeurés étrangers à une querelle qu’ils condamnent, prennent le blessé sous leur protection,

À l’époque où Thomas Hood écrivait, il n’était plus possible de