Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/369

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
365
MAURICE DE TREUIL.

— J’y renonce, madame, je craindrais de ne pas répondre suffisamment à la confiance que vous me montrez, et d’ailleurs, depuis hier déjà, j’avais pris la résolution de retourner à mon piano.

Laure s’était levée, Mme  Sorbier l’imita. Elle avait atteint son but. Laure refusait, et elle pouvait dire à Maurice qu’il n’avait pas dépendu d’elle que sa protégée ne vécût auprès d’eux. Elle était même disposée à l’accuser d’ingratitude.

— Je crois que vous avez tort, lui dit-elle d’un ton mielleux au moment où Laure la saluait. Une maison qui vous offre son toit, c’est plus qu’un abri, c’est une protection, une garantie morale.

Laure releva la tête.

— J’espère n’en avoir jamais besoin, dit-elle avec une dignité qui imposa silence à Mme  Sorbier.

Laure descendit au jardin. Elle avait besoin de respirer ; mais dès les premiers pas qu’elle fit sur la terrasse, elle rencontra Philippe.

— Ah ! Dieu merci, dit-il gaiement en lui offrant le bras, voici quelqu’un avec qui l’on peut causer… J’étouffais là-dedans.

Mais l’altération du visage de Laure le frappa.

— Qu’avez-vous ? lui dit-il.

— Ce n’est rien,… un peu d’émotion.

— Un peu ! Votre main tremble encore, vous êtes toute blanche !

— Je viens de causer avec Mme  Sorbier… La conversation a pris un tour qui a produit je ne sais quel effet sur moi… Il a été question de salaire.

— Oh !

— C’est un enfantillage, j’aurais dû ne pas m’y arrêter ; mais le sang m’a tourné dans les veines. Vous savez, quand on souffre, on est susceptible.

— Un salaire à vous, et pourquoi ?

— Pour un emploi qu’on m’offrait dans la maison.

— Auprès de Maurice ?

— Oh ! pas un mot à lui, de grâce ! Maurice ne sait rien, il ne doit rien savoir… Taisez-vous ! le voilà !

Maurice venait en effet de paraître sur le perron de la Colombière avec Sophie. Laure pressa le bras de Philippe et l’entraîna derrière un rideau d’arbres.

— J’ai peut-être eu tort de prendre tout cela comme je l’ai fait, dit-elle ; l’intention de Mme  Sorbier n’était pas mauvaise. Pourquoi aurait-elle voulu me blesser ? Que lui ai-je fait ?… Mais si elle m’aime véritablement, pourquoi me parler de salaire ? Il me semble que si j’étais riche, je cacherais la main qui offre de l’argent. Elle