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et rébellion à sa suprématie. Il citait devant lui ceux que faisait rechercher la cour de haute commission ecclésiastique; il les interrogeait lui-même, les faisait expliquer pour mieux les confondre, et tenait à les réfuter avant de les punir. Il profitait de la faculté d’être tyran pour se faire encore inquisiteur. Et cependant auprès de lui, sous ses auspices, la philosophie expérimentale prenait naissance. Bacon frayait la voie à Hobbes, et tandis que le raisonnement, pénétrant dans la foi, en desserrait peu à peu les liens et préparait cette sorte de religion qu’on appelle latitudinaire, l’esprit de secte, favorisé par le protestantisme, diversifiait la foi sans l’affaiblir, et produisait ces dissidens tout chrétiens qui eurent l’honneur d’unir la ferveur et la liberté. Dès 1580, un théologien de Cambridge, Robert Brovvn, avait jeté dans le public l’idée de transformer l’église en une multitude de congrégations séparées, ayant leur discipline, leurs cérémonies, leur juridiction toute spirituelle, enfin, dans le langage du temps, la liberté de prophétiser. Les brownistes sont regardés comme les ancêtres des indépendans, et en général de tous les dissenters qui se sont par la suite détachés du tronc de l’église royale; mais ceux-ci montrèrent en général plus de véritable ardeur religieuse, et n’eurent de commun avec Brown que quelques idées sur la constitution ecclésiastique. Si l’exaltation des sectes alla souvent jusqu’au fanatisme, ce fut rarement un fanatisme persécuteur. Conduites par leur foi même à se soustraire à la suprématie légale, elles portèrent dans la politique une indépendance qui menaçait la royauté de Jacques Ier plus sérieusement qu’il n’en pouvait avoir l’idée. Son chancelier Bacon ne se doutait guère de l’avenir, lorsqu’il disait, en s’adressant au roi : « Ainsi que les corps pesans éprouvent, lorsqu’ils ont été projetés et avant de se poser et de se fixer, certaines trépidations, il est probable que, par un effet de la divine Providence, cette monarchie, avant de s’arrêter et de s’affermir dans votre majesté et dans votre race royale (et j’espère qu’elle y est établie à perpétuité), a dû subir tous ces changemens, toutes ces vicissitudes diverses qui ont été comme les préludes de sa stabilité[1]. » Bacon parlait ainsi deux ans avant Charles Ier.


IV.

Dans les premiers temps du règne de Jacques, le gouvernement ne connaissait de dissidens proprement dits que ceux, en assez grand nombre déjà, qui, ne rejetant guère que des rites extérieurs, se faisaient pardonner leur singularité et leur piété, et dont le zèle paraissait trop puéril pour être dangereux. En Écosse, le même esprit,

  1. De Augmen. Scient., l. II, c. 7, 3.