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gressiste, laissée libre par cette sorte de subit évanouissement du duc de la Victoire : tant les partis en Espagne ont toujours besoin d’un général ! Les anciens conservateurs à leur tour ne sont pas moins perplexes. Ce sont leurs idées qui ont triomphé, les événemens justifient leurs doctrines. Ils ont su gré au général O’Donnell de sa vigueur décisive, mais ils n’oublient pas l’origine révolutionnaire de sa nouvelle fortune. À leurs yeux, les antécédens du président du conseil pendant ces deux dernières années, ses engagemens, ses déclarations, sont un obstacle à la politique dont il a été l’intelligent et heureux instrument, et comme ils ne croient pas à la durée de son pouvoir, ils se réservent, se rattachant plus que jamais à l’intégrité de leurs opinions, à l’autorité de leurs anciens chefs. Une fois de plus, par la force des circonstances, le général Narvaez redevient pour eux l’homme prochainement et inévitablement nécessaire. Joignez à ceci ce qu’on nomme le parti militaire, celui des généraux vicalvaristes, qui ont singulièrement contribué aux dernières victoires de l’ordre, et qui ont, qui veulent avoir leur part d’action et d’influence : voilà bien des élémens de complications intimes.

Au centre de cette situation difficile se trouve le cabinet. Il y a évidemment des hommes qui ont voulu ne point laisser complètement disparaître le caractère progressiste dans le nouveau gouvernement de l’Espagne. En conservant les cortès, sauf à leur proposer de se dissoudre, en maintenant la constitution récemment discutée, sauf à la modifier légèrement, en gardant la milice nationale, sauf à la réorganiser, ils espéraient contenir ce qu’on appelle la réaction. Ils comptaient sans la logique. Pourquoi la lutte du mois de juillet a-t-elle été décisive ? Parce qu’elle était engagée entre la milice nationale, ou le désordre sous toutes ses formes, et toutes les forces conservatrices. La vérité est qu’il n’y a aujourd’hui de système libéral possible en Espagne que dans des conditions nouvelles, en dehors des influences révolutionnaires. Le ministère de Madrid est arrivé, dit-on, à se fixer sur les points essentiels de la politique. Il paraît décidé à rétablir, la constitution de 1843 en proposant aux chambres un acte additionnel ; des cortès nouvelles seront convoquées. C’est là ce qui semble résolu, sans être public encore ; mais dès ce moment le cabinet de Madrid vient d’adopter deux mesures qui indiquent ses tendances. Il a ajourné les élections des municipalités qui allaient se faire sous l’empire d’une loi votée dans les derniers momens de l’assemblée constituante, et il vient de prononcer définitivement la dissolution de la milice nationale dans toute la Péninsule. Ainsi disparaît une fois de plus une institution qui n’a jamais été au-delà des Pyrénées qu’un instrument d’agitation. Lorsqu’on juge cette mesure au point de vue des autres pays, on commet une erreur singulière, parce que, dans tous les pays, la garde nationale est une garantie d’ordre, tandis qu’en Espagne elle a toujours été l’armée de l’insurrection, se soulevant alternativement pour les progressistes et pour les modérés. Elle élevait Espartero en 1840, et elle le renversait en 1843. Depuis deux ans, qu’a-t-elle fait ? Elle a assisté à tous les