Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/207

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vrage est conçu dans les idées entretenues jusqu’à présent par ceux qui regardaient la constitution anglaise comme la meilleure solution européenne du problème de la liberté politique. »

Maintenant ce scepticisme sur les forces de la constitution, ou, ce qui serait pis encore, ce dégoût d’un libre passé, ce revirement vers l’arbitraire par la démocratie, que M. de Rémusat ne redoute pas pour l’Angleterre, il ne saurait en nier l’action possible dans d’autres pays; mais là aussi il garde la conviction et l’espérance. De ce que l’Angleterre libre et discutante a ressenti l’inconvénient de ne pas avoir une administration plus active et plus concentrée, de ce qu’elle ne possède pas le puissant ressort de la conscription, il ne lui a pas paru qu’elle allait au premier jour adopter la marche intérieure de tel grand état militaire ou absolu du continent. Il n’est pas plus ébranlé dans son jugement que dans son vœu; il reste noblement convaincu que l’Angleterre doit changer et avancer comme toute chose qui ne périt pas, qu’elle doit changer pour ainsi dire dans la même voie, suivant un ordre de faits et d’idées conformes à sa nature, et qui servent sa puissance.

N’avons-nous pas vu déjà l’épreuve de cette transformation sur un point mémorable ? Montesquieu, si bon juge des Anglais, n’avait-il pas prévu pour leur constitution un écueil qu’elle a franchi sous nos yeux? « Ce beau gouvernement, avait-il dit, périra cependant; il périra, lorsque la puissance législative y sera plus corrompue que l’exécutrice. » Et en vérité, dans certaines occasions parlementaires, qu’a supérieurement retracées M. de Rémusat en parlant de Bolingbroke ou de Walpole, on aurait pu croire la prophétie près de s’accomplir. Il n’en fut rien cependant, ni alors, ni longtemps après. La force de la constitution, la vitalité de l’esprit anglais contrepesèrent les abus cachés du fonds d’amortissement et le scandale des bourgs pourris; puis, après avoir relevé et fait servir au succès national cet instrument électoral si défectueux, les mêmes causes, toujours agissantes, l’ont réformé dans un esprit hardiment national, ont grandement étendu le droit de suffrage, ont augmenté, non pas seulement le cours régulier, mais les affluens de la chambre des communes, et laissé l’Angleterre la même, en la renouvelant, selon la diversité de son œuvre actuelle et le changement du siècle.

Aussi c’est la vue fixée sur l’Angleterre, telle qu’il avait commencé de l’étudier en 1827 et telle qu’il la prend pour refuge en 1852, c’est devant cet exemple de la vie politique stable et progressive que M. de Rémusat se raffermit dans les opinions qui ont dicté l’ensemble de ses écrits. « Le temps, dit-il admirablement, doit nous corriger de nos fautes, non de nos principes, et on ne peut refaire son }