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catastrophes diverses, mais n’ont pas encore épuisé le problème, qui pouvait se poser ainsi : « Que bâtira cette révolution française qui commence par tant de ruines? A quel degré de liberté permanente ce peuple sera-t-il conduit par tant d’innovations? » Cette forme d’enquête peut d’autant mieux être proposée à M. de Rémusat, que lui-même la conçoit d’une manière générale. Évidemment ce doute l’occupe dans la préface et dans la belle introduction qui donnent un nouveau prix à la réimpression de ses brillans essais sur l’Angleterre au dix-huitième siècle, et en font ressortir, en étendent la portée.

Publiciste vraiment philosophe, libre penseur dans les limites bien comprises du juste et du vrai, n’ayant pas peur de la théorie, qui ne doit être au fond que la raison du droit, il ne méconnaît pas cependant quels changemens les faits ont parfois amenés dans les idées, mais il n’en croit pas moins à la puissance de ces idées, à leur croissance invincible, et, lors même qu’elles semblent un moment, ou compromises par des excès qu’elles réprouvent, ou à demi désavouées par ceux qui les défendaient, il ne doute pas de leur retour et de leur triomphe. Naturellement cela, dans sa pensée, doit s’appliquer aujourd’hui même à l’Angleterre, dont une épreuve récente a mis au jour le côté faible et franchement accusé les insuffisances avec cette vivacité qui, dans les pays libres, naît de la liberté même, et qui par conséquent n’est pas un argument contre elle. Quoi qu’il en soit, publiciste et moraliste aussi généreux que spirituel et sagace, M. de Rémusat devait suivre attentivement un tel fait en soi-même et dans ses contre-coups. Partisan zélé de l’alliance et des institutions anglaises, comme il le dit et le prouve à chaque page, il résume les impressions récentes de bien des gens sur la constitution britannique et aussi sur l’avenir politique du continent avec une netteté de langage et une fermeté de conviction doublement instructives.

« Les événemens, dit-il, qui depuis dix-huit années ont occupé le monde ont ramené l’incertitude sur bien des points qui semblaient décidés. Le doute a repris beaucoup de place dans les esprits. On n’est pas sûr d’avoir eu raison d’approuver des choses pour lesquelles autrefois on se croyait prêt, le dirai-je? à donner sa vie. Encore moins est-on bien persuadé que l’avenir doive respecter et confirmer longtemps l’opinion que l’on a pu jadis concevoir de l’excellence et de la durée de certaines institutions. Rien n’est plus commun aujourd’hui que de regarder l’Angleterre comme en voie de transformation profonde et funeste qui changerait jusqu’à la nature de son gouvernement. Aucuns même vous diront que cela est déjà fait. Je n’ai point écrit pour discuter ces questions, et cet ou-