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négligente, de Bolingbroke lui plaisent et l’intéressent. Le formalisme et l’exagération de Burke le choquent par un double caractère de déclamation antipathique à son esprit délicat et fier. Constitutionnel de notre pays et de notre temps, invariable ami des principes les plus purs de 1789, M. de Rémusat ne saurait pardonner à l’ancien chef du whiggism anglais la volte-face si fougueuse qu’il fit contre le principe même de notre révolution, en haine des violences dont elle fut entachée si vite. Fidèle au but et aux espérances premières de cette révolution, mais ne sachant pas nier ce que, dans ses déviations d’un tel but et de telles espérances, la révolution eut encore de grandeur patriotique et parfois d’influence utile au monde, M. de Rémusat ne peut excuser dans l’orateur anglais les implacables pronostics de guerre perpétuelle dont il s’était fait contre nous le missionnaire politique. Enfin le critique français, homme de goût autant que philosophe, alliant la précision des idées à la simplicité des formes, doit reprocher un peu de vide et d’emphase à l’éloquence écrite ou parlée d’un homme d’état plus contemplatif que pratique, et dans la contemplation même plus jaloux de passionner des lieux-communs que de trouver la vérité grande et durable.

C’est à ce point de vue fort indépendant des admirations indigènes de parti et d’école que M. de Rémusat nous donne une instructive et très piquante biographie de M. Burke, de l’homme de lettres irlandais devenu, sous le patronage aristocratique, membre de la chambre des communes, y dirigeant durant de longues années une très vive opposition contre les fautes des ministres, les dépenses de la couronne, et même contre la guerre d’Amérique, mais avec tout cela partisan de l’ancien ordre européen, et le plus anti-révolutionnaire des Anglais, quand il s’agit de la France et de sa déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

M. de Rémusat a parfaitement saisi, analysé, jugé cette transformation violente de l’ancien whig. Il en relève parfois les inconséquences avec des expressions sévères, et nous ne pouvons que louer son âme toute française des impatiences qu’elle éprouve devant certaines fougues haineuses de ce parlementaire anglais qui a la colère d’un émigré; mais n’eût-il pas été juste de rappeler en même temps à quel point Burke restait fidèle aux principes de liberté dans son propre pays, et comment il serait mort pour cette constitution qu’il nous accusait d’avoir si peu comprise et dépassée du premier coup en croyant l’imiter? Ce qu’il faut blâmer dans ce monde, et ce dont il faudrait dégoûter les hommes, si la chose était possible, ce sont les apostasies complètes, ces désaveux de soi-même par lesquels on passe de la déclamation bruyante au mutisme calculé, et des doctrines démocratiques à l’obéissance passive; mais Burke ne renia