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plus familiers que leurs principes et leurs actes ! Lorsque M. de Rémusat, fort jeune encore, ayant été associé à une commission que M. de Serre, garde des sceaux, chargeait d’un travail sur la liberté de la presse, fit paraître un écrit solide et ingénieux où il décrivait le rôle et les attributions du jury anglais dans cette matière, ce fut comme une lumière nouvelle pour les magistrats et le public. Même surprise était réservée sur bien d’autres problèmes et bien d’autres incidens de la vie publique, et les réalités violentes, les catastrophes, les révolutions qui se mêlèrent à cette étude, ne la rendirent pas moins difficile en la montrant pleine de mécomptes.

Ce fut parfois un service pour l’esprit public, toujours un honneur pour les lettres, que le talent facile et supérieur de M. de Rémusat ait pris goût à cette recherche, y soit souvent revenu en y consacrant non pas seulement de courtes et ingénieuses polémiques, mais des récits étudiés et complets. Si je voulais, par exemple, citer un travail vraiment caractéristique du XVIIIe siècle, commun pour ainsi dire à l’Angleterre et à la France, montrant ce que la même époque eut de frivole et de corrupteur dans les deux pays, et comment dans l’un d’eux la force de l’institution politique prévint ou répara le vice des mœurs et le mal du scepticisme, je ne choisirais pas un autre exemple que le livre intitulé Bolingbroke, sa Vie et son Temps, livre sérieux et amusant, profond et frivole, comme le fut le héros même. Comment ce Bolingbroke, dont la conversation française étonnait Voltaire, et dont l’éloquence perdue était dans le passé l’objet du regret et de l’envie de M. Pitt, comment celui qui donna la paix à l’Europe et voulut rendre à l’Angleterre son ancienne dynastie a-t-il mêlé en lui tant de supériorités brillantes et de petitesses, tant de contradictions, de fautes et de malheurs? C’est ce que nul extrait ne saurait expliquer. Il faut lire cette vie dans M. de Rémusat[1] ; il faut voir le talent souple, spirituel, énergique du peintre de saint Anselme se pliant à retracer les actions et le caractère d’un tory sans mœurs et sans foi, d’un Rochester orateur, diplomate, érudit, d’un politique auquel il n’a manqué que d’être un honnête homme pour devenir un grand ministre, et d’avoir une meilleure philosophie pour être un bon citoyen.

Nous ne dirons pas que l’antidote à l’admiration pour un tel homme, la contre-partie d’un tel modèle et d’un tel portrait se trouve, sous la plume et au gré de M. de Rémusat, dans la biographie de Burke. Nous sommes tenté de le croire, M. de Rémusat n’admettrait pas même de parallèle par contraste entre ces deux hommes. Les grands talens, la facilité, la supériorité, même insouciante et

  1. Voyez la Revue du 1er et 15 août, du 1er et 15 septembre, du Ier octobre 1853.