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efforts essayés pour naturaliser le goût anglais parmi nous. Quant aux critiques dont la sévérité repoussait ce goût et cette littérature, ils avaient soin de n’en connaître pas même la langue.

L’anglomanie pouvait donc être parfois un ridicule de cour et de salon ; mais tout le côté sérieux, profond, politique, éloquent, du caractère et du génie anglais était fort peu connu de nos pères. 1789 et l’esprit de cette époque nous portaient, dans ce premier moment de fièvre et d’espérance, bien plus à dépasser l’Angleterre qu’à imiter ses lois ; je ne crois pas qu’il y eût dans l’assemblée constituante, hormis deux hommes d’ailleurs peu d’accord dès l’origine, Mirabeau et Mounier, aucun appréciateur vraiment équitable de cette belle constitution qui, du haut de sa forteresse insulaire, voyait s’amonceler nos tempêtes.

Les épreuves qui se succédèrent, la haine déclamatoire qui séparait les deux peuples, n’étaient pas faites pour diminuer de part et d’autre la prévention ou l’ignorance respective. Ce n’est guère qu’à partir des écrits de Mme de Staël, de quelques pages de sa main sur les poètes et les orateurs anglais, de quelques ingénieuses peintures de la vie domestique anglaise, que des idées plus justes nous arrivèrent sur un sujet exploité plus tard avec talent, à partir de la seconde restauration et du réveil brillant des lettres, à travers les nouvelles écoles historique et romantique ; mais beaucoup de préjugés restaient à détruire, et les ouvrages du général Sarasin ou de M. Rubichon faisaient bien peu connaître l’Angleterre. Dans le temps qui suivit, et à part les beaux travaux d’histoire dont l’Angleterre allait devenir l’objet, le peintre le plus instructif qu’elle ait eu dans notre langue nous paraît un modeste étranger, un voyageur suisse, M. Simon, décrivant les mœurs, les lois, l’industrie, le génie de cette terre qu’il avait si longtemps habitée.

Puis, après ce travail de M. Simon, oublié maintenant, vinrent en foule, pendant quinze ans, les voyages littéraires et pittoresques à Londres et autour des lacs d’Ecosse, les tableaux de mœurs, les résumés de la constitution anglaise, les traductions de poètes et d’orateurs, une collection du théâtre et du parlement anglais. Et de ce milieu d’études britanniques sortirent et dominèrent quelques beaux travaux, comme l’Histoire de la Révolution anglaise de M. Guizot et d’autres essais de narration ou de critique. Mais que de choses de la société et de la littérature anglaises dans le dernier siècle étaient encore ignorées pour nous ! Combien l’histoire même d’où était sorti le temps présent nous était peu connue ! Combien la législation de ce libre pays, que nous voulions égaler en garanties et en progrès sociaux, nous était imparfaitement expliquée ! Combien les noms de ses hommes célèbres dans le dernier siècle nous étaient