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grand nombre de jours de travail au profit du propriétaire, et cela ne contribue pas médiocrement à augmenter les revenus des boyards. L’agriculture est beaucoup plus avancée en Moldavie qu’en Valachie, et une terre située dans la première de ces deux principautés fournit un revenu quadruple de celui que produirait une terre située en Valachie, toutes choses égales d’ailleurs. Ces grandes fortunes, cette vie de grand propriétaire, donnent quelque chose de fier et de féodal au caractère moldave, et lui impriment un cachet d’indépendance que l’on ne voit guère en Valachie. Le boyard moldave est maître sur son vaste domaine, c’est lui qui fait les listes de recrutement, qui paie directement les impôts de ses paysans à la vestiarie (ministère des finances), et l’autorité doit prendre son assentiment pour exercer la justice chez lui. Il n’a pas, comme le Valaque, la passion des emplois publics, bien qu’il y porte trop souvent, quand il les remplit, la même absence de désintéressement et de droiture. On ne le voit pas assidu à faire sa cour à l’hospodar, qui pour lui n’est qu’un primus inter pares élevé par le vœu de ses compatriotes. En face de l’occupation étrangère, la conduite des boyards moldaves a été beaucoup plus digne que celle des boyards valaques. Nul empressement, nulle obséquiosité. Les agens et les généraux russes n’étaient pas, comme à Bucharest, l’objet de plates adulations ; les salons moldaves ont presque toujours été fermés aux plus brillans états-majors, et les mariages, si fréquens en Valachie, même dans les classes secondaires, entre les officiers russes et les femmes du pays ont été plus que rares en Moldavie.

Il y a, on peut le dire, dans cette principauté une boyarie, qui sera pour longtemps encore, comme en Valachie et bien plus qu’en Valachie, le seul corps qui donne à la population moldave la physionomie d’une société constituée. Ce n’est point toutefois à cause de ses titres que la boyarie forme un corps, c’est uniquement à cause de ses biens. Dans les deux principautés, la boyarie d’agrégation[1], créée quelquefois par la faveur la plus honteuse et la rapacité des princes, conférée à des services qui ne s’élevaient pas au-dessus de la domesticité, ou vendue souvent à vil prix, a beaucoup déconsidéré les rangs[2], Jean Stourdza faisait de petits nobles pour 400 piastres (200 francs environ), et il y a en Moldavie près de trente logothètes (c’est le plus haut degré de la hiérarchie moldave), dont plusieurs sont sans fortune. On en rencontre, dans les villes de district, vêtus à peu près comme des paysans, portant la barbe, signe distinctif du

  1. La boyarie d’agrégation est composée en grande partie de gens qui ont exercé des fonctions serviles.
  2. Dans les principautés, les rangs signifient les différens degrés de noblesse, comme dans l’armée les grades constituent la hiérarchie militaire.