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monnaie d’or et d’argent d’Autriche ; je reçus même en paiement des pièces qui venaient de sortir de la monnaie impériale. C’est dans les principautés que viennent se verser les espèces métalliques de l’Autriche, qui forment, avec les roubles d’argent, les impériales et les nouvelles pièces d’or et d’argent de la Turquie, la monnaie courante en Moldo-Valachie, où le papier-monnaie n’a jamais été mis en circulation forcée : ni les Russes ni les Turcs ne l’ont tenté ; les Autrichiens l’ont essayé, mais sans succès. De Michaëlin à Yassy, le voyage n’offre rien de bien intéressant. Je m’arrêtai quelques heures à Botochan, ville assez considérable, où l’on me rendit des honneurs qui avaient un caractère tout local : on mit seize chevaux à ma voiture à la dernière poste avant d’arriver dans cette ville, et un médecin italien, ancien agent consulaire français, me fit servir un excellent déjeûner, pendant lequel des bohémiens me jouaient sur la guitare, le violon et la flûte de Pan, des airs indigènes empreints d’une mélancolie profonde et d’un charme singulier. Je me laissai aller au plaisir de les entendre, et je n’arrivai à Yassy que fort tard dans la nuit.

Cette ville n’était pas alors ce qu’elle est aujourd’hui après quelques années d’une administration qui a beaucoup fait pour l’embellir. Les rues étaient pavées en bois, et le palais habité par l’hospodar et bâti par le prince Mourousi, le frère de l’infortuné négociateur du traité de Bucharest, n’avait pas encore été restauré[1]. Les monumens intéressans d’Yassy sont l’église des Trois-Saints, excellent morceau d’architecture romane, le monastère de Golia et l’église de Saint-Spiridion, qui renferme la sépulture des Ghika de Moldavie. Yassy compte de grands hôtels entourés de jardins, mais pour la plupart sans élégance, bien qu’ils aient un aspect monumental. Ce sont les demeures des riches boyards de la Moldavie. Les fortunes dans cette principauté sont beaucoup plus considérables qu’en Valachie. Cela tient à plusieurs causes : la première est sans contredit l’excellente coutume qu’ont les boyards moldaves de résider sur leurs terres et de les cultiver eux-mêmes, tandis qu’en Valachie le boyard habite toujours la ville et donne ses terres à ferme. Il faut dire aussi que malheureusement la condition du paysan moldave est beaucoup moins bonne que celle de son voisin valaque. Il est obligé à un plus

  1. Mourousi l’hospodar était frère puîné de Démétrius Mourousi, qui était drogman de la Porte, et qui, tout-puissant à Constantinople, faisait des hospodars et ne voulait pas l’être lui-même. On a trop cru et trop dit surtout que les principautés du Danube étaient le but principal de l’ambition des princes phanariotes ; cela fut vrai pour beaucoup d’entre eux, mais ceux qui exerçaient une grande influence dans la capitale de l’empire préféraient ne pas s’en éloigner. Yassy ou Bucharest étaient des retraites, quelquefois même des disgrâces brillantes, comme certaines ambassades l’ont été ailleurs pour certains ministres.