Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/106

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

entier à ses cruels souvenirs, lut à haute voix les lignes suivantes : « Mon cher abbé, si la joie de vous revoir, la dernière joie que j’espère sur cette terre, m’est refusée, je n’en suis pas moins sûr que vous exécuterez fidèlement les volontés dernières que je consigne ici. Je désire que les deux lettres ci-jointes enroulées d’un fil rouge soient copiées de votre main, sauf la phrase de mon écriture qui se trouve au bas de l’une d’elles, et que ces deux copies soient mises sous un pli à l’adresse de « Mrs Oyly-Gammon et C°, solicitors, Lincoln’s Inn, 10, London. » L’année prochaine, vous ne négligerez ni soins ni démarches pour que ce pli soit jeté à la grande poste de Paris le 23 octobre et arrive ainsi à Londres le jour de l’anniversaire de ma mort. L’année suivante, vous expédierez les deux originaux à la même adresse, à la même date, et vous aurez ainsi exécuté les dernières volontés que je laisse en ce monde. Quant à la somme en billets de banque et au portrait de femme contenus dans ce coffret, portrait que même à mon dernier moment un honteux amour m’empêche d’anéantir, je vous prie de les accepter en témoignage de ma sincère et reconnaissante amitié. Adieu. Forget me not. »

— Pauvre homme ! forget me not, répéta l’abbé, qui tira du coffret un médaillon de femme d’une grande beauté suspendu à une chaîne de cheveux blonds, la honteuse héroïne de ce drame sanglant, et quelques papiers réunis sous un triple cordon de fil rouge.

Le prêtre contempla quelques instans, d’un œil plein de larmes, ces reliques si chères à son cœur ; puis il reprit : — L’année dernière, par un hasard providentiel, un de nos pères est parti pour la France au mois de juin, et il a exécuté à la lettre les volontés de mon cher mort ; mais aujourd’hui je suis bien embarrassé, car je ne connais personne à Paris…

Tu comprends que je devançai la demande de l’abbé en lui offrant tes services, et que, sûr de toi comme je le suis de moi-même, je lui affirmai qu’il pouvait se reposer en toute sécurité sur un vieux dévouement à ma personne qui ne s’est jamais démenti. L’abbé accepta ces offres avec empressement, et je n’ai pas besoin de te recommander de nouveau ici de remplir les instructions formulées au début de cette lettre. Il me reste maintenant à terminer ces longues pages en te donnant l’énigme de ce triste drame, car je sais par expérience que si un homme comme toi peut ne pas respecter un secret deviné, il meurt avec un secret confié à son honneur.

Les deux lettres renfermées sous le pli portent toutes deux la même adresse… La même adresse : Andrew Cumpbell Esq., Reform’s Club, London ! Le doigt de Dieu ne se montre-t-il pas tout entier dans l’erreur évidente commise, tu le verras sans peine, sur ces enveloppes ? Toutes deux sont datées Greenhills, 24 octobre 1847 ! 24