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répression énergique, c’en était fait de la discipline de l’armée royale, et lord G... engagea sa parole de soldat que dorénavant aucune commutation ne serait accordée, et que les sentences des cours martiales seraient appliquées, quelque sévères qu’elles pussent être.

Après un court silence, le colonel reprit avec une vive émotion : — Par une fatalité dont je ne me consolerai jamais, cette rigueur nécessaire devait frapper le plus brave soldat de mon régiment, un homme de trente ans environ, dont l’origine était entourée d’un certain mystère, car ses manières et son langage trahissaient une éducation distinguée; mais, de quelque part qu’il pût venir, sous sa poitrine battait un cœur de héros, et nous avons encore dans nos rangs deux officiers à qui, par un prodige d’héroïsme, il sauva la vie dans la charge de Chillianwallah. Ce soldat-modèle, monsieur, fut offert en victime expiatoire pour conjurer les dangers qui menaçaient la discipline de l’armée royale. A un jour d’erreur (il faut cependant de l’indulgence pour ces pauvres hommes qui souffrent comme nous du mal du pays et des rigueurs du climat), à un jour d’erreur, dis-je, il fut rencontré dans une rue d’Umballah dans un état complet d’ivresse par un jeune cornette nouvellement arrivé au corps. Cet enfant crut bien faire en intimant l’ordre au soldat de rentrer aux casernes, et, pis que cela, l’ordre n’étant pas exécuté, se mit en devoir d’arrêter le dragon lui-même. Une rixe s’ensuivit dans laquelle l’officier fut sérieusement blessé, et pour ces faits le malheureux soldat fut traduit devant une cour martiale, qui porta contre lui une juste condamnation de mort. Tout ce que l’on peut faire pour sauver la vie d’un homme, je le fis, monsieur. Je me rendis moi-même à Simlah, auprès du commandant en chef; je rappelai les services du soldat, je rappelai les miens; lady ..., avec une bonté de cœur que je n’oublierai jamais, demanda à genoux à son mari la grâce du condamné. Lord G... (peut-être eut-il raison) demeura inflexible, et la sentence de mort fut exécutée avec des circonstances atroces que je ne puis me rappeler sans frémir. Mauvaise volonté ou maladresse des hommes, le condamné ne fut pas tué raide par le feu de peloton, et l’adjudant du régiment eut l’horrible mission de lui brûler la cervelle. Ce fatal événement fît une telle impression sur ce vieux sous-officier, que quinze jours après, dans un accès de folie, il se pendait dans sa chambre. Aussi, monsieur, sous l’impression de ces désastreux souvenirs, permettez-moi de finir comme j’ai commencé, en disant : Dieu nous préserve de voir jamais le châtiment du fouet disparaître du code disciplinaire de l’armée anglaise!

Ce récit, fait d’une voix émue, presque les larmes aux yeux, avait répandu dans l’assemblée un indéfinissable sentiment de tristesse que trahissait un morne silence, lorsqu’un des convives, avec un