Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/904

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trouvant déchargées du poids des couches inférieures qui les comprimaient. Remarquons ici que rien ne limite la quantité de pluie que peut donner une pareille disposition du terrain. Tant que le courant d’air continue à affluer pour franchir la barrière élevée que lui oppose la chaîne montagneuse, la pluie ne cesse de tomber de l’air refroidi de ce courant, en sorte que si le vent humide s’établit en permanence, il dépose des masses fluides telles que le lit des rivières est impuissant à les contenir, pour les conduire comme à l’ordinaire à la mer ou aux grands fleuves, dont les rivières sont tributaires.

Si l’on connaît le relief d’un pays et la nature des vents régnans, on peut vérifier que partout où ces vents trouveront un obstacle qui les forcera de s’élever, ils donneront naissance aux sources de rivières dont les eaux seront en proportion de la hauteur de l’obstacle qui leur a été opposé. Les Alpes nous offrent un exemple frappant de cette influence d’arrosement : les vents habituels de sud-ouest qui nous arrivent de l’Atlantique, en venant déposer leurs eaux à la barrière alpine, nous donnent le Rhône et le Rhin, deux des plus grands fleuves de l’Europe occidentale. Les vents chauds et humides de l’Italie et de la Lombardie, en franchissant les Alpes tyroliennes, nous donnent le Pô et tous ses affluens ou cousins (cognati suoi), pour me servir d’un mot de Dante. On sait que ce fleuve, au moment des crues, roule dans l’Adriatique un volume d’eau tel, que, pendant le blocus continental, les croisières anglaises pouvaient s’approvisionner d’eau douce hors de la portée des canons de la côte. Enfin ces mêmes Alpes, recevant dans leurs nombreux chaînons le vent de retour de la Russie, donnent naissance au Danube, le roi des fleuves d’Europe, qui, après avoir reçu cent affluens qui ont une origine analogue, va contribuer puissamment à dessaler cette Mer-Noire où viennent de s’illustrer de tant de gloire nos modernes argonautes de la justice et de la civilisation.

Mais, dira-t-on, il pleut dans les plaines dépourvues de hauteurs considérables, il pleut même en pleine mer, là où aucune barrière ne peut forcer les courans d’air à se soulever, à se dilater, à se refroidir et à précipiter leur humidité. Les bassins de la Somme, de la Seine, de la Loire, de la Charente, de la Gironde, de l’Adour, ne sont qu’en très faible partie adossés à des chaînes montueuses. D’où vient ici l’ascension des masses d’air qui doit produire leur refroidissement et la pluie qui en est la suite? Je vais le dire.

Il est impossible de ne pas admettre que quand un grand courant d’air s’est établi dans une direction quelconque, il est souvent ralenti dans sa marche soit par les aspérités du terrain qui le retardent, soit par les forêts et les plantations au travers desquelles il ne se fraie un passage qu’avec des difficultés et des retards qui se communiquent à la masse entière mobilisée; de plus, il faut pour que le courant s’avance que l’air qui le précédait lui ait livré passage en se déplaçant lui-même. Or un changement de direction, ou la rencontre d’un courant d’air opposé, ou encore l’obstacle d’un air allant moins vite que celui qui le suit, mille causes enfin, sans compter