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conséquences. En effet on vit bientôt la tête du courant ascendant se troubler, s’obscurcir et former un nuage dont on apercevait le dessus et le dessous, le commencement et la fin. Peu à peu, le courant continuant à se transformer en nuage, celui-ci occupa tout l’espace jusqu’à moitié hauteur du Puy-de-Dôme. Ultérieurement la tête du nuage offrit toutes les apparences de ces nuages lourds terminés en dessous par une base plane d’où s’échappe ordinairement la pluie. Celle-ci ne fit pas longtemps défaut, et la teinte du sol arrosé montra bientôt l’étendue de la portée du courant d’air d’où s’échappaient les gouttes d’eau d’une pluie abondante. Un peu plus tard, quand le vent eut encore élevé le nuage, la scène changea, et ce furent des flocons de neige qui sortirent du nuage encore plus refroidi pour joncher les hautes pentes du Puy-de-Dôme et donner aux habitans de la plaine le spectacle, habituel pour eux, d’une neige d’t’té. Les observateurs, placés sur la haute cime, purent vérifier l’image hardie de Huygens le père, qui, franchissant les Alpes, s’étonnait de porter ses pas au travers des neiges de juillet et d’août :

Ferre per æstivas torpida membra nives.


Une grande obscurité avait momentanément dérobé le ciel et la terre aux contemplateurs stationnés sur le pic le plus élevé. Un caprice du vent fit plier le courant d’air à droite, vers la chaîne du Mont-d’Or, et tira, pour ainsi dire, d’une manière magique le rideau qui leur avait dérobé pour quelque temps le spectacle de la belle Limagne d’Auvergne, avec ses cultures, ses moissons, ses arbres, ses roches volcaniques et ses rivières, dont les ondes étincelaient au grand soleil. Il ne restait du météore qu’une plaine de neige qui blanchissait momentanément la plus haute cime du mont, et, plus bas, les hautes herbes mouillées, qui réservaient au retour des explorateurs de la nature un bain à peu près aussi complet que s’ils eussent traversé à gué les eaux de l’Allier qu’ils apercevaient à l’horizon.

Il est bon d’observer cependant que les choses ne se passent pas toujours d’une manière aussi paisible. Les courans d’air n’accostent souvent les flancs des montagnes qu’avec de furieux ouragans qui ne permettent pas aux voyageurs de se tenir debout. D’autres fois de formidables coups de foudre, renouvelés à chaque seconde, sont échangés entre le nuage et la montagne. Alors les hommes et les troupeaux, sais. s d’une panique étrange, fuient à grande vitesse le théâtre du redoutable météore. Les moutons rivalisent de course avec les chiens pour aller chercher ailleurs un refuge, et tout disparaît en un instant d’alentour du voyageur, resté seul et que ses guides eux-mêmes ont abandonné.

Une chaîne de montagnes qui s’élève au centre d’une contrée est donc une véritable source de pluie par le refroidissement qu’elle occasionne dans les masses d’air humide qui franchissent ses sommets, et, je le répète, par cela seul que ces masses d’air se dilatent en montant dans l’espace, et en se