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vainqueur, disait-il à l’un de ses amis, je serai assez riche et assez puissant pour réparer cette perte. Si je péris, que m’importe? »

C’est dans ces sentimens qu’il déclara la guerre à la république de Costa-Rica. Cet état, qui est le plus petit et le moins peuplé de l’Amérique centrale, n’a pas plus de 120,000 habitans. Les montagnes abruptes qui le couvrent, sa côte sans port, son sol mal cultivé et sans routes devraient lui ôter toute importance; mais le président actuel, M. Mora, homme énergique et habile, qui avait accueilli généreusement les réfugiés du Nicaragua, jugea qu’il était important de chasser un si dangereux voisin avant qu’il se fût solidement établi. Secrètement appuyé par les Anglais, qui lui envoyèrent des armes et des munitions, il marcha contre Walker. Celui-ci, retenu à Granada par la crainte d’un soulèvement, confia le commandement de son armée, composée d’environ cinq ou six cents hommes, au colonel Schlossinger, réfugié hongrois. L’armée des Costa-Ricans était à peu près égale en nombre. Cette guerre ressemble assez à celle que Montmartre pourrait déclarer à Montrouge; mais si les deux armées étaient peu nombreuses, l’objet de la querelle n’en paraissait que plus grand. En réalité, on allait décider du sort de l’Amérique centrale. Schlossinger, surpris dans son camp, s’enfuit le premier. Ses soldats le suivirent de près, et Walker S3 vit menacé au centre du Nicaragua par les Costa-Ricans victorieux. Il ne se découragea point. Il publia un bulletin dans lequel toute la honte de la déroute fut attribuée à la lâcheté de Schlossinger. On découvrit que ce brave colonel hongrois, dont les journaux des États-Unis avaient fait d’avance un pompeux éloge, n’était qu’un ancien caporal autrichien qui avait reçu vingt fois la schlague dans son régiment, et qui avait volé en Allemagne des sommes considérables. Walker le fil chercher et fusiller; puis il se mit à la tête de ses forces et marcha lui-même contre les Costa-Ricans. Il les rencontra à Rivas et livra bataille. A en croire son récit, il remporta une victoire signalée : six cents Costa-Ricans avaient été tués, un plus grand nombre blessés ou faits prisonniers, et les Américains avaient fait des prodiges de valeur.

La vérité, qu’on connut bientôt par le récit des témoins oculaires et des voyageurs français et allemands qui revenaient du Nicaragua, est que le combat fut très acharné, qu’il y eut de grandes pertes des deux côtés, et que, d’un commun accord, les deux partis abandonnèrent le champ de bataille. Il n’y eut point de poursuite; mais une bataille indécise est une défaite pour Walker. Il eut beau vanter ses succès imaginaires, publier les lettres interceptées de lord Clarendon au président de Costa-Rica, se plaindre de l’intervention secrète des Anglais et provoquer par ses amis des meetings aux États-Unis : toutes ces ressources d’un homme au désespoir furent bientôt épuisées. En vain M. Soulé, dans un meeting tenu à la Nouvelle-Orléans, déclara que 350,000 dollars suffiraient pour assurer le triomphe de Walker et la liberté du Nicaragua : une trentaine d’auditeurs seulement répondirent à cet appel. On se lassa d’envoyer de l’argent et des hommes.