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te livres-tu à une présomptueuse espérance ? Tu n’es pas mon fils pour aspirer à occuper une place qui est réservée à mon enfant. Oui, tu es le fils du roi, mais ce n’est pas moi qui t’ai donné la naissance ; ce trône royal, ce siège du roi des rois, ne convient qu’à mon fils ! Oublies-tu que tu dois le jour à Sounîtî ? »

Repoussé par l’épouse favorite du roi son père, Dhrouva s’éloigne en pleurant ; il court trouver sa mère, et celle-ci, plus sage, plus miséricordieuse que sa rivale, cherche à calmer l’enfant. Elle a ressenti vivement l’injure faite à son fils ; mais, exempte d’envie, résignée à son infériorité, elle lui fait cette réponse : « Souroutchî a dit vrai ! Ceux qui sont nés pour la fortune ne sont point exposés aux insultes de leurs rivaux. Le trône, le parasol de la royauté, les chevaux, les éléphans, appartiennent à ceux qui les ont mérités par leurs vertus. » Pour calmer son fils, l’humble femme lui donne à entendre que la fortune et le malheur dépendent des actions accomplies dans une existence antérieure. Elle craint les emportemens de ce jeune cœur blessé dans son orgueil et dans ses affections, et qui bouillonne sourdement. « Ne souhaite de mal à personne, cher enfant, lui dit-elle encore ; oh ! non, car l’homme souffre lui-même du mal qu’il fait à autrui. Si tu ne peux étouffer en ton cœur le ressentiment des paroles qui t’ont blessé, cherche à augmenter en toi les mérites religieux qui procurent tous les biens. Sois aimable, sois pieux, sois amical, pratique en toute occasion la bienveillance à l’égard des créatures vivantes, car la prospérité descend sur l’homme modeste qui en est digne, comme l’eau coule sur le terrain bas des vallées. »

Ce sont là de belles paroles ; on y trouve comme un écho de la morale biblique, et on les admirerait sans réserve, si on ne voyait clairement où elles tendent. L’homme modeste qui dompte ses sens, ce sera le brahmane renonçant à la royauté qui lui échappe ; mais, s’interposant entre Dieu et les rois comme le nuage entre le soleil et la terre, tantôt il versera ses bénédictions sur le souverain, tantôt il grondera comme la foudre. Voyez plutôt ce qui advint en dépit des conseils de la pieuse reine Sounîtî. Dhrouva quitte le palais de son père, la colère dans le cœur. Décidé à conquérir, par tous les moyens possibles, le rang auquel il a droit, il s’enfonce dans la forêt. Là, il rencontre les saints ascètes voués à la méditation depuis de longues années, et il les interroge sur les pratiques à suivre pour acquérir la puissance surnaturelle. Quand les saints du désert ont entendu de la bouche de l’enfant le récit de ses infortunes, ils s’écrient : « Ô surprenante énergie des kchattryas qui ne laissent pas abaisser leur orgueil ! Celui-ci, tout enfant qu’il est, garde en son cœur les dures paroles d’une belle-mère ! »

Par cette exclamation, qui semble échapper tout naturellement aux