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mettre à l’abri des caprices des hommes et de la nature; si pendant longtemps on s’est contenté des transports à dos de mulet dans les montagnes du Nicaragua, de récens travaux ont amélioré la navigation du San-Juan. Aussitôt qu’un gouvernement régulier, ferme et éclairé comme celui de Walker, sera établi sur des bases solides, la nature des choses donnera forcément au Nicaragua le monopole du transit[1]; il faut hâter le moment de cette heureuse transformation; l’entreprise de Walker a rencontré une sympathie universelle au Nicaragua; le clergé catholique lui-même, d’ordinaire hostile aux hérétiques Yankees, a embrassé la cause de Walker avec ardeur. On citait la réponse de celui-ci aux félicitations du grand-vicaire de l’évêché de Léon, que nous allons reproduire en entier, pour donner une idée de son style et de son caractère.

« 29 novembre 1855.

« Mon révérend,

« J’ai eu le plaisir et l’honneur de recevoir aujourd’hui votre lettre du 26 courant. Il m’est très agréable d’apprendre que l’église emploiera son autorité en faveur du gouvernement actuel. Sans l’aide des sentimens religieux et de ceux qui les enseignent, il ne peut y avoir de bon gouvernement, car la crainte de Dieu est le fondement de toute organisation politique et sociale. Les opinions pour lesquelles j’ai combattu dans le Nicaragua sont, j’en ai la ferme conviction, logiquement déduites de la doctrine du divin Rédempteur. C’est en Dieu que je me confie pour le succès de la cause dans laquelle je suis embarqué (in which y am embarked), et pour le maintien des principes que je soutiens. Sans son aide, tous les efforts humains sont impuissans, mais avec son aide quelques hommes peuvent triompher d’une armée. En vous demandant vos prières pour le succès des entreprises que je puis tenter et qui sont conformes aux préceptes de la sainte église, je demeure-votre très humble et très obéissant serviteur,

« W. WALKER. »

On admirait la modération calculée de son langage, l’éloquence avec laquelle il prenait le ciel à témoin de la pureté de ses intentions, et, quoiqu’aux États-Unis personne ne soit dupe d’un langage qui est commun à

  1. Un autre motif doit amener bientôt cette révolution dans le transit de l’Amérique centrale. On connaît l’humeur insolente et querelleuse des Yankees. Au mois de mai 1856, des passagers américains qui revenaient de Californie, ivres de bière et de whiskey, tirèrent des coups de revolver sur des nègres de Panama. Ceux-ci prirent les armes, attaquèrent à leur tour les agresseurs, et avec eux tous les autres passagers. Plus de quarante Américains furent tués; une centaine furent blessés, et parmi eux un grand nombre de voyageurs étrangers à la querelle. Le gouvernement des États-Unis a promis de venger ce massacre d’une manière éclatante; mais quel est le plus coupable, de celui qui attaque le premier, ou de celui qui, provoqué, confond dans sa vengeance aveugle les agresseurs et les témoins inoffensifs?