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décidé. Il ne subsistait plus que par un prodige d’équilibre, c’est-à-dire par la crainte réciproque qu’avaient l’une de l’autre deux nations rivales. Tant que cette crainte était égale des deux côtés, la paix pouvait se maintenir; mais un incident imprévu et étranger à la question hâta le dénoûment. Je veux parler de la guerre d’Orient.

On sait la part que l’Angleterre a prise à cette guerre. Il est inutile de rappeler que l’armée anglaise soutint glorieusement, homme par homme, l’honneur du drapeau, et que chaque soldat montra un courage incontestable. Tout le monde s’y attendait; mais ce qui étonna l’Europe et l’Amérique, ce fut le mince résultat de tant d’efforts et de sang répandu. Une mauvaise administration, des chefs plus nobles qu’habiles, plus vieux qu’expérimentés, des misères très grandes à la vérité, mais peut-être exagérées à dessein par les journaux anglais eux-mêmes, diminuèrent singulièrement le prestige de l’Angleterre dans le monde. Tous les faibles s’en réjouirent et virent la main de la Providence dans la destruction de l’armée anglaise. Aux États-Unis, l’impression de ces événemens fut considérable. On y vit la décadence prochaine de l’Angleterre. On racontait, on exagérait même avec une joie maligne les misères trop réelles de cette armée tant vantée. On sympathisait avec les Russes, on exaltait les vertus militaires des Français, le courage heureux des zouaves; on leur attribuait exclusivement la gloire de l’Alma, d’Inkerman, de la prise de Sébastopol. Enfin, de toutes les manières on retourna le poignard dans le cœur de l’orgueilleuse Angleterre. C’est ce moment qu’un parti tout-puissant aux États-Unis crut favorable pour braver impunément le gouvernement anglais et lui enlever sa proie, car l’invasion de Walker n’est pas l’œuvre de quelques aventuriers sans appui dans la nation. Ce n’est pas une fantaisie isolée qui a poussé cet aventurier au Nicaragua; ce n’est pas non plus, comme le brave et malheureux Raousset-Boulbon, un désir romanesque d’aventures et la gloire de fonder un empire. Tout est positif dans l’âme, dans le cœur et dans les calculs d’un Yankee. Walker n’est que l’audacieux et habile instrument des spéculateurs de New-York et de la Nouvelle-Orléans. Ce héros, dont les journaux de la Nouvelle-Orléans, du Kentucky et du Missouri font un si pompeux éloge, n’a rien dans sa vie qui le distingue de dix mille aventuriers moins heureux et moins célèbres. Comme tout le monde aux États-Unis, il a fait vingt métiers différens : avocat, médecin, journaliste, chercheur d’or. Comme tout le monde, il se créa général de sa propre autorité, et se fit une réputation militaire en se proclamant d’avance invincible. Il est fanfaron et menteur comme un Mexicain; il est hardi, avide et sans scrupule comme un Yankee; il a toutes les qualités qui élèvent un homme à l’empire ou à la potence. « Le général Walker, dit un de ses partisans, l’auteur de l’Avenir du Nicaragua, est né au Tennessee. Il a exercé la profession d’avocat. De bonne heure il fit un voyage en Europe et termina son éducation dans une des