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commissaires, pris dans le conseil d’état, trouvèrent que c’était au moins de 84. Un travail plus complet et plus approfondi que dirigea M. Mollien démontra qu’ils étaient réellement redevables de 141 800 000 francs, évaluation qui resta intacte après qu’ils eurent été admis à discuter devant le conseil d’état, qui était le tribunal compétent, chacun des articles du compte. On pouvait ne pas désespérer de rentrer dans cette somme ; les négocians réunis avaient fait des fournitures aux armées de terre et de mer pour une quarantaine de millions ; c’était autant à valoir sur leur dette. Le traité d’Ouvrard avec la maison Hope, d’Amsterdam, lui avait procuré 10 millions qui étaient en route pour Paris. Napoléon comptait obtenir le reste en procédant vigoureusement contre les négocians réunis, dût-on passer par-dessus les formes et en recherchant leurs co-intéressés, quels qu’ils fussent. Sa première pensée avait été de faire intervenir les tribunaux avec la plus grande rigueur ; mais il sentit bientôt qu’il est de l’intérêt du créancier d’avoir des ménagemens pour le débiteur, et qu’avec un grand déploiement de sévérité, il ne ferait qu’anéantir ce qui restait de la fortune des négocians réunis, au grand détriment du trésor. Il écouta donc les conseils de Cambacérès et de M. Mollien, qu’appuyaient les recommandations de Berthier et de Talleyrand. Après avoir menacé Ouvrard de faire ériger pour lui une potence haute, disait-il, comme les tours de Notre-Dame, il se radoucit, le laissa en liberté, et continua même à la compagnie la fourniture des armées, dont elle s’acquittait bien, mais sous des conditions propres à garantir au trésor d’abondantes rentrées. Tout ce que les négocians réunis avaient de biens-fonds fut saisi et vendu ; on en tira 14 millions. Des procès s’étaient engagés entre eux et leurs associés sur le partage des bénéfices à venir ; ces litiges fournirent des moyens de revendication que les tribunaux consacrèrent, et plusieurs millions rentrèrent au trésor par cette voie. On se retourna ensuite vers l’Espagne, et on lui parla du ton qu’on est porté à prendre quand on dispose, selon les paroles de l’empereur, de cinq cent mille hommes ; on lui déclara qu’elle aurait à payer à la France 60 millions dont elle s’était reconnue débitrice envers Ouvrard, quoiqu’elle assurât n’en avoir reçu effectivement que 36. L’Espagne adhéra à la réclamation ; pour les trois cinquièmes de la somme, M. Mollien reprit le projet d’Ouvrard sur les piastres des colonies espagnoles.

La cour d’Espagne garantissait bien au gouvernement français une remise de piastres, mais c’était à la condition qu’il les reçût à la Vera-Cruz, où il était fort dangereux de les prendre sans l’agrément du gouvernement anglais, qui était maître des mers. M. Mollien, sachant combien était grand le besoin des matières d’argent en Angleterre, fit proposer les piastres de la Vera-Cruz à la maison Ba-