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au trésor public de la France. C’est nous qui avons payé un subside à l’Espagne au lieu de celui qu’elle nous devait. Maintenant la traîne est dévoilée, je veux interroger en personne ceux qui l’ont ourdie. » L’ordre fut donné de faire venir les faiseurs de service, Ouvrard et Desprez, et le premier commis du trésor, spécialement chargé du détail des négociations et attaché comme secrétaire au cabinet de M. de Barbé-Marbois ; c’était lui qui avait livré aux négocians réunis le portefeuille du trésor. « Quoique la scène dont je fus alors témoin, dit M. Mollien, ne soit que trop présente à mon esprit, je n’entreprendrai pas de la décrire ; s’il m’est permis d’employer une figure pour en peindre les effets, je dirai qu’ils faisaient sur moi ceux de la foudre tombant du plus haut du ciel pendant une heure entière sur trois individus sans abri. L’un (Desprez) fondait en larmes, l’autre (le premier commis) balbutiait quelques excuses, le troisième (Ouvrard), immobile comme un roc, ne proférait pas une parole ; mais tout son air semblait dire que, comme rien n’est plus passager qu’une tempête, il ne faut que savoir en attendre la fin. Je doute que tous trois l’attendissent avec plus d’impatience que moi… »

Lorsqu’un signe qui exprimait encore la menace eut averti les comparans qu’ils pouvaient se retirer, l’empereur ne permit pas à M. de Barbé-Marbois de continuer son rapport. Il se trouvait suffisamment instruit, et il congédia le conseil, qui avait duré neuf heures. Au moment où M. Mollien allait sortir, l’empereur le retint, resta seul avec lui, et lui dit : « Vous êtes ministre du trésor, vous prêterez votre serment ce soir ; il faut dès ce soir même prendre possession du ministère. » Comme l’extérieur de M. Mollien n’exprimait ni empressement ni reconnaissance, il ajouta avec vivacité : « Vous ne me persuaderez pas que vous ne voulez pas être ministre ; on ne refuse pas un ministère. » M. Mollien eut la présence d’esprit de répondre que ce qu’il venait d’apprendre l’autorisait à redouter le portefeuille que l’empereur lui destinait, et il ajouta que non-seulement il ne connaissait pas l’organisation du trésor public, mais qu’il ne concevait pas la division des finances en deux ministères. « Vous n’êtes pas appelé à juger cette question, répliqua l’empereur : la France actuelle est trop grande pour qu’un ministre des finances suffise à tout ; j’ai d’ailleurs besoin d’une garantie dans l’administration des finances ; je ne la trouverais pas dans un seul ministère ; les comptes qu’il me présenterait seraient sans contrôle, et quand même j’y croirais, le public n’y croirait pas. Je sais bien que dans l’état où est le trésor vous aurez des difficultés à vaincre, mais le choix que je fais de vous dans une pareille circonstance est le témoignage de ma grande confiance en vous. Je vous aiderai. Je n’ai pas eu besoin d’entendre le rapport entier de M. de Marbois pour deviner