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qui était un des instrumens dont il se servait, et sur lesquels il comptait, suspendait elle-même ses paiemens. Il devenait ainsi bien malaisé d’obtenir des capitalistes hollandais qu’ils se chargeassent d’un emprunt considérable au profit de l’Espagne, car quel fond faire sur un gouvernement tombé en banqueroute, et quel crédit lui accorder ?

La crise de la Banque de France avait mis à découvert l’impuissance des négocians réunis pour le service du trésor ; on apercevait même, ce qu’on aurait dû savoir déjà, qu’au lieu d’être en avance avec le trésor, la société lui devait des sommes très importantes, dont cependant on ne soupçonnait pas encore toute la grandeur. Le conseil de gouvernement avait rompu avec la société en ce qui concernait le service du trésor. Elle restait cependant chargée de la fourniture des vivres de l’armée, et sous l’inexorable nécessité qu’on ressentait, on lui avait fait de nouvelles avances. Pour la négociation des valeurs du trésor, on en était revenu à un comité des receveurs-généraux au nombre de cinq.

La prise d’Ulm et la capture de l’armée de Mack avaient soutenu l’esprit public et empêché la crise de s’aggraver. La victoire d’Austerlitz acheva de calmer les esprits. Jamais victoire ne fut plus opportune, mais aussi jamais on n’en vit de plus décisive. Elle fut promptement suivie de la paix, avec l’Autriche du moins. Le traité de Presbourg fut signé vingt-quatre jours après la bataille d’Austerlitz, le 26 décembre. On sait que l’Autriche y perdit tout ce que le traité de Lunéville lui avait laissé en Italie, ainsi que le Tyrol. Elle dut payer une contribution de 40 millions, indépendamment de ce que le vainqueur avait trouvé dans les caisses publiques, des approvisionnemens en nature qu’il avait recueillis dans les arsenaux et des vivres fournis à l’armée par le pays. Quant à la Russie, son jeune et brillant empereur était tombé dans un abattement profond. Il rentrait avec les débris de son armée dans ses déserts, humilié du désastre qu’il venait de subir, honteux du stratagème où il avait compromis sa signature impériale pour échapper à l’étreinte du maréchal Davoust, ce qui ne l’avait pas empêché d’être à la merci du vainqueur. Ainsi, comme par un coup de théâtre, la situation, d’inquiétante qu’elle était, était devenue excellente, et le trésor ne pouvait manquer de s’en ressentir.

Pendant la crise de la Banque, la caisse d’amortissement, c’est-à-dire M. Mollien, s’était distinguée, tandis que l’administration du trésor et celle de la Banque manquaient d’intelligence, et que le conseil de gouvernement qui remplaçait l’empereur se comportait en aveugle et agissait assez brutalement envers le public. La Banque aurait du faire venir des matières d’or et d’argent du dehors : elle se borna à demander des espèces aux banquiers des départemens, en