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de M. de Barbé-Marbois, pour obtenir, dans l’intérêt du trésor, le paiement du reste du subside qui était dû. Il arriva dans cette capitale en septembre 1804. Il y trouva un gouvernement caduc, qui pâlissait d’inanition au milieu d’un des pays les mieux dotés de la nature. La détresse financière de l’Espagne était à ce point, qu’au lieu d’aller, salon l’usage, passer une saison dans les résidences royales, la cour restait à Madrid faute d’une somme de 500 000 fr. pour les frais du déplacement. Pour comble de malheur, la disette accablait la Péninsule, et le cabinet de Madrid était dans l’impuissance de faire rien qui soulageât les souffrances des populations. Il semblait qu’un créancier qui venait, appuyé par le gouvernement français, pour réclamer un premier arriéré de 32 millions, ainsi qu’un reliquat considérable qu’il s’agissait de régler promptement, ne pût manquer d’être un terrible personnage, de la part duquel il fallût se résigner à subir des scènes de mauvaise humeur et de rudes exigences. On l’attendait le trouble dans l’âme ; mais Ouvrard se présenta tout différemment. Le trésor espagnol était à sec ; dès la première entrevue, le ministre des finances le lui déclara d’un ton qui ne permettait pas le doute. Ouvrard alors ne perdit pas son temps à articuler des reproches superflus. Il débuta en offrant et en comptant aussitôt les 500 000 fr. dont la cour avait besoin pour se rendre à Aranjuez. Il gagna ainsi la confiance du prince de la Paix et de la reine. Il caressa les plus chères espérances du favori en lui insinuant que si l’Espagne tenait bien ses engagemens financiers envers la France, ce serait pour lui le moyen d’arriver au rang de prince souverain pour lequel se croyait fait cet ambitieux vulgaire. Quand on lui parla des embarras que causait la disette, il proposa ses bons offices pour y mettre fin en faisant venir à ses risques et périls des blés de l’étranger, et surtout de la France. À cet effet, il fallait obtenir la faculté d’en exporter de l’empire français. Il la sollicita, dit-il, par l’intermédiaire de M. de Barbé-Marbois, et il l’obtint moyennant un droit de sortie de 2 fr. par quintal métrique payée au trésor français. Il prit ostensiblement ses dispositions pour une opération du montant de 52 millions. Grâce à lui, les arrivages se succédèrent. Les blés que la spéculation retenait dans les greniers baissèrent rapidement. La population cessa d’avoir la cruelle perspective de la famine, et le gouvernement espagnol cessa de craindre le soulèvement de Madrid, Ainsi le créancier chez qui on s’était attendu à trouver un homme impitoyable, avec l’impérieuse volonté de Napoléon derrière lui pour faire valoir ses droits, s’était métamorphosé en un bienfaiteur pour le pays et pour la cour, en un protecteur pour le prince de la Paix, en une sorte d’enchanteur qui n’avait qu’à frapper du pied la terre pour en faire sortir des ressources ines-