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généraux ; il l’avait fait malgré lui, et sur l’ordre formel de Napoléon. En cela, Napoléon avait suivi les bons avis du ministre des finances Gandin, ou du troisième consul Lebrun ; c’était aussi l’opinion de M. Mollien, qui, mis en présence du ministre du trésor sur ce terrain par le premier consul lui-même, avait profité de cette entrée en matière pour exposer ensuite en particulier au ministre ses justes idées sur ce sujet. M. Mollien insista auprès de M. de Barbé-Marbois sur ce que les receveurs-généraux étaient les escompteurs naturels des obligations et des bons à vue, puisqu’ils étaient tenus de les acquitter définitivement, et que, sans accélérer beaucoup la rentrée des contributions, ils avaient le moyen de se procurer tous les fonds à ce nécessaires. Il lui fit remarquer que tout banquier qu’il chargerait de ces escomptes ne serait, entre le trésor et ses comptables, qu’un intermédiaire superflu qui n’avancerait au trésor que son propre argent par le moyen d’arrangemens avec les receveurs-généraux, car ceux-ci avaient le montant des impôts entre les mains bien avant l’époque où ils étaient tenus de les remettre à l’état. Il lui donna encore d’autres bonnes raisons, tirées de ce qu’alors le ministre surveillerait beaucoup mieux ses subordonnés les receveurs-généraux, et les obligerait à se surveiller les uns les autres une fois qu’il les aurait organisés en comité. M. de Barbé-Marbois ne fut cependant pas convaincu. Quand il eut créé l’instrument contre son gré, il ne sut pas le faire fonctionner, et après un certain laps de temps passé en essais infructueux, il se fit autoriser à traiter avec une association de banquiers qui prirent le nom de négocians réunis, et qu’on appelait aussi les faiseurs de service ; c’est ainsi qu’il se jeta dans les bras d’un financier fort célèbre, M. Ouvrard.

Ouvrard est une des figures les plus curieuses de la période révolutionnaire et de l’époque napoléonienne. Beaucoup de personnes actuellement vivantes l’ont connu, car il y a peu d’années qu’il est mort. Il a laissé chez tous ceux qui l’ont vu le souvenir d’un homme des plus heureusement doués. Il était hardi à concevoir, prompt et plein de dextérité dans l’exécution, extrêmement ingénieux à imaginer des expédions et des ressources, et persuasif jusqu’à la séduction. Il recherchait la richesse bien moins à cause des jouissances qu’elle peut procurer que parce que c’était à ses yeux une forme de la puissance. Pour lui, les grandes affaires étaient un besoin, et il n’était pas d’opération si vaste qu’il ne crût pouvoir l’entreprendre et la faire réussir. Dans le cours de la révolution, il s’était enrichi par des spéculations intelligentes. Il avait à peine dix-neuf ans lorsqu’il en conçut une qui lui fut très profitable. Son père était un propriétaire de papeteries des environs de Clisson, ce qui fixait, l’attention du jeune homme sur cette branche d’industrie. Dès que