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long sur le gazon fleuri, comme pour dormir du sommeil éternel… Qui donc réveillera le pauvre homme ? qui le rendra au sentiment de la vie et de la réalité ? La parole du paysan n’a pas été entendue, mais la parole du soldat ne sera pas dédaignée, surtout si le bâton vient lui servir de commentaire. C’est ce qui arrive. Une troupe de soldats traverse la forêt.


« Le caporal qui conduisait la troupe, ayant aperçu de loin un cadavre, envoya un soldat pour l’examiner. Au lieu d’un mort, le soldat fut bien surpris de trouver un bohémien vivant, et qui le regardait attentivement. — Qui es-tu, lui dit-il, et que fais-tu là ?

« — Ne vois-tu pas, répondit le bohémien, que je suis mort ? Le diable ou un prophète, sous la forme d’un paysan qui passait, m’a prédit que j’allais me tuer, et quelques instans après je suis en effet tombé du haut de ce chêne dont je coupais les branches. Qui donc aurait résisté à une pareille chute ? Je te dis que je suis mort, et je me rappelle fort bien comment cela m’est arrivé.

« Le soldat, qui vit bien à qui il avait affaire, alla tout raconter en riant au caporal. — Venez, enfans, dit celui-ci, le paysan l’a tué, nous allons le ressusciter.

« Ils s’approchèrent du bohémien. — Tu es donc mort ? lui dit le caporal.

« — Oui, l’ami, parfaitement mort, répondit le bohémien.

« — C’est bon, reprit le caporal, nous allons te rappeler à la vie.

« — Oh ! j’en serai bien aise, dit le bohémien ; ma femme doit m’attendre avec impatience.

« — Prenez des verges, cria le caporal à ses soldats, et ressuscitez ce pauvre défunt.

« Les soldats s’empressèrent de commencer le miracle. Les coups tombaient dru sur le bohémien, mais il ne bougeait pas, et ne faisait pas entendre la moindre plainte. — Allons, dit le caporal, cela n’est pas suffisant… Faites du feu, les tisons vaudront peut-être mieux.

« À peine le bohémien eut-il entendu ces paroles, qu’il se redressa et dit amicalement au caporal : — Ami, je crois que tu as réussi. La peau me brûle déjà comme si j’étais tombé dans un sac d’orties. Je crois en vérité que je suis vivant ; je vais m’en assurer.

« Cela dit, il sauta sur ses jambes et se mit à courir du côté de sa maison, pendant que les soldats riaient à gorge déployée. »


À côté des chants populaires, la réforme de Pierre le Grand fit éclore une autre littérature, qui a aussi cherché ses inspirations dans la vie militaire, mais qui est malheureusement dépourvue de toute originalité. La Pétréide de Lomonosof, la Rossiade de Kheraskof, sont des poèmes épiques où le soldat russe n’apparaît guère, mais où des comparses affublés du costume grec ou romain figurent au premier rang. L’instinct de la vérité ne devait reprendre quelque puissance dans la littérature militaire de la Russie qu’avec les