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atteste en effet que les compagnies se montrent plus ou moins faciles, suivant que les matières peuvent plus ou moins s’approprier à d’autres modes de transport. Qu’un chemin de fer soit obligé, par exemple, d’entrer en lutte avec ces voies navigables, avec ces canaux dont je parlais tout à l’heure, vous pouvez être sûr à l’avance qu’il sera porté à fixer ses prix de la façon la plus libérale. En voici un exemple entre cent : le chemin du Nord a réduit jusqu’à 3 centimes 1/3 par kilomètre et par tonne, entre la frontière et Paris, le prix du transport de la houille, qu’il veut, comme il en a d’ailleurs le droit, disputer à la navigation. Il n’est encore parvenu à lui enlever que la moindre partie de ces matières, car en 1855 les voies navigables ont importé de Belgique en France 1,182,000 tonnes de houille, et le chemin de fer 407,000 tonnes seulement. Le résultat dû à l’abaissement des prix n’en est pas moins énorme quand on voit sur les registres de la douane de Valenciennes qu’en 1852 le chemin de fer n’importait que 46,826 tonnes contre 1,048,000, qui entraient par l’Escaut[1].

Au lieu de naître ainsi de la pure influence de l’intérêt privé, n’est-il pas clair que les abaissemens de taxe devraient se produire avant tout en vue d’accroître la masse de la circulation et de favoriser le travail? Or les chemins de fer sont loin d’effectuer, dans l’état actuel des choses, tous les transports qui devraient leur revenir. Une très petite partie sans doute leur est enlevée par telle ou telle concurrence; mais une masse d’autres font défaut, parce que les tarifs existans renchériraient trop la matière. En calculant le coût du transport, on ne doit pas s’en tenir au prix net du tarif, car il est notoire en économie voiturière que le prix du transport augmente à peu près du double de son chiffre la valeur réelle des produits. En maintes circonstances cependant, producteurs et consommateurs gagneraient à ce que tels articles pussent facilement se répandre dans les divers centres de consommation. De leur côté, les compagnies seraient libres de réduire les taxes sur toutes les routes où les matières à voiturer abondent suffisamment pour compenser l’augmentation des frais résultant de l’extension du service. Une observation analogue s’applique aux voyageurs : j’admets volontiers que l’augmentation du transport des personnes ne promet pas de contribuer autant que celle du transport des produits à l’accroissement des affaires; toujours est-il que les voyages se multiplieraient à mesure que les tarifs seraient abaissés[2].

  1. D’autres matières encombrantes, le plâtre, la pierre à bâtir, nous offriraient au besoin des exemples analogues à celui de la houille. — A l’origine, la compagnie du Nord avait réduit les tarifs sur la marée; mais quand elle a eu triomphé des voitures spéciales chargées de ce transport, elle les a bien vite relevés
  2. Il n’est pas sans intérêt d’établir un parallèle entre la progression constatée dans le transport des marchandises et celle constatée dans le transport des personnes. Les taxes payées par les marchandises ont pris l’essor le plus rapide et le plus inattendu. Voici quelques chiffres, empruntés aux comptes-rendus de la compagnie du Nord et de la compagnie d’Orléans, qui suffisent pour donner une idée de la situation où l’on est arrivé et de celle qu’on peut entrevoir. Sur le chemin du Nord, les marchandises et objets de tout genre transportés à petite ou à grande vitesse, qui produisaient 7 millions de francs en 1847, en ont produit 29 en 1855, c’est-à-dire que le total a plus que quadruplé en neuf années, tandis que la recette provenant des voyageurs n’a guère fait que doubler dans le même intervalle en montant de 8 à 19 millions. Sur la ligne d’Orléans, la proportion est également tout à l’avantage des marchandises : en 1855, les voyageurs ont versé 20 millions dans la caisse de la compagnie, et les marchandises et matières de tout genre 32 millions.