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fer pour son propre compte, il échappe aussitôt aux influences d’ordre purement financier qui pouvaient, la veille encore, dominer ses jugemens.

Quelque variées que soient les plaintes, il n’est pas difficile de les ramener à certains chefs principaux. D’une part, on reproche aux compagnies de violer fréquemment le principe de l’égalité dans leurs rapports avec le public, de maintenir les tarifs à des chiffres trop élevés, et de combiner les taxes d’une manière préjudiciable à de très nombreux intérêts. D’une autre part, on les accuse de réserver exclusivement leurs faveurs au petit nombre des voyageurs qui peuvent payer le prix des voitures de première classe, sans s’inquiéter beaucoup de l’immense majorité des citoyens, de commettre d’assez fréquens abus d’autorité avec le sans-gêne d’un pouvoir à peu près irresponsable, enfin de n’avoir qu’un matériel insuffisant. Voilà les accusations principales que chacun a pu recueillir. Ces critiques touchent aux questions les plus sérieuses de l’économie politique appliquée aux voies de communication.

D’abord, quant à l’égalité devant les tarifs, c’est là un principe d’intérêt général et d’ordre public. Lisez les lois et les règlemens, et vous trouverez qu’ils y sont invariablement fidèles. Il est interdit aux sociétés exploitantes de consentir, sous aucun prétexte, au profit d’un ou de plusieurs expéditeurs, des réductions que l’on ne pourrait pas étendre à d’autres. On a prévu le cas où les chemins de fer auraient à s’entendre avec certaines entreprises de transport par terre ou par eau; on a voulu que, même alors, les stipulations intervenues reçussent une suffisante publicité pour mettre les diverses parties intéressées en mesure d’en réclamer le bénéfice. Cet esprit d’égalité se manifeste jusque dans les prévisions relatives aux détails du service, par exemple au factage et au camionnage, à l’ordre des expéditions, qui doivent s’effectuer d’après les numéros de l’enregistrement, sans tours de faveur.

Eh bien ! tant de précautions ne suffisent pas pour assurer l’entier accomplissement du vœu de la loi. Les procès dont les tribunaux ont si souvent retenti, les pétitions adressées aux pouvoirs constitutionnels de l’état, — celle, par exemple, que les manufacturiers de la Normandie ont récemment soumise au sénat, — prouvent assez que ce vœu est souvent méconnu. Lorsque l’autorité se montrait si prévoyante dans ses prescriptions, elle devinait bien la direction que les compagnies ne pouvaient manquer de prendre; mais les règlemens n’ont en général qu’une influence préventive, trop souvent déjouée. C’est le pouvoir judiciaire qui forme, au moyen de la répression, le principal rempart contre l’abus. Quand les tribunaux maintiennent le principe de l’égalité, ils ne font qu’obéir à l’esprit