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conscience examiné avec un calme et un sang-froid qui excluent toute idée de propagande. Il n’y a là d’ailleurs rien qui puisse surprendre, et on pouvait jusqu’à un certain point s’attendre à ce résultat. Esprit pratique, froidement ardent, méthodiquement curieux, miss Martineau a toujours manqué d’un certain élément mystique et idéal qui, s’il est dangereux et propre à engendrer des illusions, rend les chutes morales moins inévitables et moins irrémédiables. Son œil a toujours été tourné plutôt vers les choses sensibles, vers les choses de la politique et de la société, que vers les choses invisibles, et même au temps de sa plus grande ferveur religieuse elle a dû toujours mieux comprendre ce qui était de la nature que ce qui était de l’esprit. C’est une âme rationaliste et raisonneuse. Elle est fort intéressante pour nous Français, en ce sens qu’elle est une preuve frappante de la force du sang et de la race. Issue d’une famille protestante exilée par la révocation de l’édit de Nantes, elle a en elle, malgré son éducation et ses habitudes anglaises, quelques-unes des tendances les plus caractéristiques de l’esprit français, — rigueur logique, goût de la simplification, netteté parfaite de vues et de doctrines, dédain des compromis, habitude d’aller jusqu’aux conséquences les plus extrêmes des principes, intrépidité philosophique. Quand elle est allée à l’athéisme, elle y est allée plutôt à la française qu’à l’allemande, et elle a retrouvé, hélas ! comme d’instinct et par la vertu de son sang français, ce genre d’athéisme qui a fleuri si désastreusement chez nous à la fin du dernier siècle.

Maintenant que nous en avons fini avec les reproches qu’on peut adresser à M. Conybeare sur son manque de charité, examinons les questions que pose son livre ingénieux, un des plus curieux épisodes de cette guerre qui se poursuit en Angleterre entre l’église et les doctrines nouvelles. Il serait difficile de dire au nom de quelle fraction de l’église parle l’auteur. Les high churchmen et les low churchmen, les chefs des universités et les prédicateurs populaires, sont présentés par lui sous un jour peu favorable. Il malmène tous ces groupes également, et ne semble guère disposé à prendre parti pour aucun. Les lecteurs anglais paraissent avoir été aussi embarrassés que nous de donner son véritable nom à l’église que représente M. Conybeare, et un reviewer s’est tiré d’embarras en inventant un nouveau parti dans l’église, — the hard church, l’église opiniâtre, hargneuse, atrabilaire. L’épithète est méritée par l’esprit du livre, et cependant, si on jugeait de l’esprit par la lettre, la tolérance semblerait plutôt l’âme de cet écrit. Ainsi que nous l’avons dit, l’auteur s’abstient de parler au nom d’aucune fraction de l’église ; il pose la question sur un autre terrain, il parle au nom du Christ et établit le débat entre l’Évangile et l’incrédulité. La question semble largement posée, et la