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dans la tente, et le côté vers lequel se portait son regard était précisément celui où était répandu le plus de clarté. Tout à coup il m’appela, en un bond je fus auprès de lui. — Elle n’est plus là, me dit-il, l’avez-vous vue? — Et il me raconta (tout ce que Dieu veut est possible, je devais savoir bientôt qu’il ne se trompait pas), il me raconta qu’il venait de parler à sa mère....

Je ne sais pas pourquoi j’écris ceci. En abordant de nouveau, même par la pensée, ces choses merveilleuses et sacrées, j’éprouve des frissons que je ne voudrais pas sentir, puis une sorte de plaisir auquel je cède. Je ne lui dis pas : « C’est une hallucination, mot que je n’ai jamais compris; vous êtes le jouet de votre imagination, ce que vous avez vu n’existait que dans votre esprit. » J’essayai de le calmer au contraire en acceptant son récit tout entier. Je le félicitai sur ce que le ciel avait permis en sa faveur. « Je vous envie, » lui disais-je, et il ne savait pas tout ce qu’il y avait de vérité dans ce mot, qui partait du fond de mon cœur. Je parvins à le calmer en effet. Quand je vis enfin ses yeux se fermer sous l’influence du sommeil qui devait forcément succéder à tant d’excitations violentes, je m’étendis de nouveau sur mon lit, et voici ce qui m’est arrivé.

Je n’étais pas endormi, il n’y avait aucune vapeur dans ma cervelle, je regardais tour à tour tous les objets qui remplissaient ma tente, quand je sentis auprès de moi quelque chose qui agissait sur toute mon âme et semblait vouloir la tirer hors de mon corps. Puis peu à peu ce quelque chose prit une forme. Je la vis à mon tour, c’était elle. Je fus tout rempli d’une longue épouvante pleine de charme. J’attachai sur ses traits, où rayonnait la lumière du monde inconnu, un regard où je sentis une explosion de caresses étrangères à mes sens et nouvelles pour mon cœur. Tout à coup je compris qu’elle me parlait, quoiqu’aucun mot sorti de sa bouche ne résonnât dans cet air des vivans où Dieu lui permettait de se montrer. Elle me remerciait de ce que j’avais été pour celui qu’elle se repentait d’avoir moins aimé sur cette terre que moi, et elle me suppliait de ne pas l’abandonner à l’heure de la redoutable épreuve qui était proche. Elle me demandait de lui promettre que rien, rien de ce qui peut se passer ici-bas, ne m’empêcherait d’être alors auprès de son enfant. Je ne sais de quelle manière je m’y pris, car moi-même je ne m’entendais point parler, mais je le lui jurai.

A l’instant même elle disparut, je fus comme un homme enseveli vivant sur qui viendrait de retomber le couvercle, un moment soulevé, de son sépulcre. Il y avait pour moi, dans cette atmosphère qu’elle ne vivifiait plus, quelque chose de cruellement terrestre qui m’étouffait. Bientôt je retrouvai dans mon âme la vision que je pleurais, et en songeant à tout cet ordre immortel de faits si ardemment