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avec une vérité sévère la triste destinée. L’aveuglement singulier qui dans un temps de lumière et d’humanité laissait à l’abandon, sous la verge d’une législation brutale et d’autorités subalternes, ce nombre redoutable dont La Bruyère avait pourtant dit : Et en effet ils sont des hommes, est une des preuves les plus frappantes de notre facilité à ne point penser aux choses les plus sérieuses quand elles ne font pas de bruit. Tant que la machine va, il semble qu’elle ira toujours, et la patience silencieuse des masses souffrantes paraît être dans le cours invariable des choses. C’est une des illusions les plus invraisemblables, les plus ordinaires et les plus funestes. Pourtant la détestable semence qui a dormi tant d’années dans la terre peut lever un jour, et l’on s’épouvante du mal profond qu’on a laissé durer et croître auprès de soi. Des ressentimens et des préjugés implacables se montrent enfin, et rétribuent par la vengeance des siècles d’insouciance et d’insensibilité. Là encore est peut-être le plus grand mal que l’ancien régime ait fait à la révolution.

Mais comment ce pays portait-il la révolution dans ses flancs? Comment de cette nation de courtisans, de fonctionnaires et de contribuables est-il sorti la noble génération qui se leva en 1789 et réveilla les espérances du genre humain? C’est un phénomène étrange et consolant qui doit apprendre à ne jamais désespérer. « Nous ne tenons, disait gravement Louis XV dans un édit de 1770, nous ne tenons notre couronne que de Dieu; le droit de faire des lois par lesquelles nos sujets doivent être conduits et gouvernés nous appartient, à nous seuls, sans dépendance et sans partage. » Et la même année, l’assemblée du clergé, alarmée des témérités de la liberté d’écrire et de penser, s’écriait prophétiquement : « Cette liberté fatale trouverait dans l’inconstance de la nation, dans son activité, dans son amour pour la nouveauté, dans son ardeur impétueuse et inconsidérée, des moyens de plus pour y faire naître les plus étranges des révolutions et les précipiter dans toutes les horreurs de l’anarchie. » Voilà qui est bien; mais dix-huit ans plus tard un cri monte de tous côtés, et, dénonçant comme intolérable le régime établi, réclame, pour y mettre un terme, la réunion immédiate d’une assemblée nationale. « La constitution française, disait le 27 avril 1788 au roi en personne le parlement de Paris, parais- sait oubliée; on traitait de chimère l’assemblée des états-généraux. Richelieu et ses cruautés, Louis XIV et sa gloire, la régence et ses désordres, les ministres du feu roi et leur insensibilité, semblaient avoir pour jamais effacé des esprits et des cœurs jusqu’au nom de nation... Mais il restait le parlement... Le 6 juillet (1787), il exprima le vœu des états-généraux; le 19 septembre, il déclare formellement