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invention heureuse? Oui, sans doute, si l’église était exclusivement spirituelle, c’est-à-dire qu’elle n’eût place que dans l’ordre moral. Il est vrai qu’alors elle serait une influence, elle ne serait pas, à proprement parler, une puissance. Je ne sais si ce serait mieux, mais il en est autrement. Rivale de la puissance civile, la puissance ecclésiastique ou s’en sépare ou s’y associe. Quand elle s’en sépare, on dit qu’elle l’entrave ou la menace; on l’accuse d’usurpation ou de révolte. S’anime-t-elle pour sa propre cause, pour ses intérêts, pour ses prérogatives, on la traite de faction dans l’état; est-ce pour des intérêts généraux, on dit qu’elle entre dans la politique, qu’elle veut tout attirer à elle, absorber la souveraineté dans son sein. Et qui lui adresse ce reproche? Des philosophes? des hérétiques? des écrivains? Non, des magistrats, des ministres, des rois. Si au contraire le clergé fait alliance avec le pouvoir civil, il le suit dans ses calculs temporels et il s’abaisse. Cette soumission, contrastant avec l’indépendance dont en d’autres temps il a fait preuve, ne lui est pas comptée à titre d’abnégation ni d’humilité; c’est une tactique intéressée, dit-on; il est servile. Il faut l’avouer d’ailleurs, pendant les derniers siècles, le clergé a fait un médiocre usage soit de la soumission, soit de l’indépendance. Jamais il n’a parlé au nom du public et stipulé pour le pays. L’eût-il fait, comment l’aurait-on reçu? La défiance aurait répondu à son zèle. Son patriotisme même aurait paru suspect; on aurait dit qu’il voulait dominer et non servir. Une opinion s’est établie, une opinion qui permet peu au sacerdoce de prendre en main une cause publique, de marcher au premier rang dans la voie toujours un peu bruyante des réformes utiles, de chercher l’éclat mondain des grands services rendus à la politique du temps. Un certain détachement des choses du siècle est prescrit au clergé, peut-être avec affectation. On lui a tellement dit que c’était son rôle, que lorsqu’il s’en écarte, ce qui lui arrive, il n’en convient pas. Je le répète, dans la politique, sa situation est fausse. Et cependant le moyen âge en a fait un pouvoir : tout au moins est-il une institution. Mais on ne se figure pas comment le clergé des deux derniers siècles, toujours flottant entre la complaisance envers le prince et la soumission envers le pape, aurait pu prendre avec suite l’attitude de défenseur de l’état, de protecteur du peuple, de réformateur des abus, de libre conseiller du trône. Ce n’était ni son emploi, ni son génie, et s’il était ainsi sorti de ses voies, encore aujourd’hui peut-être l’histoire ne le lui pardonnerait pas.

Répétons-le après M. de Tocqueville, il n’y avait plus qu’une puissance dans l’état, la royauté. Elle avait peu à peu mis le pied partout, et partout porté la main. Elle avait tout accaparé, tout absorbé. Dès longtemps tout avait connivé ou cédé, ou ne résistait que