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les descendans des anciens Francs ou ceux qui prétendaient l’être n’ont jamais fait; ils n’ont été ni portés par eux-mêmes ni encouragés par autrui à prendre ce rôle de grandeur laborieuse. Voilà bien des siècles que la noblesse française, bien française en cela, a montré plus de prétentions que d’ambition.

Lors donc qu’au début de la période révolutionnaire le terme d’aristocrate est devenu une si dangereuse injure, le sentiment qui l’interprétait ainsi n’était pas seulement odieux, il était absurde. Jamais, depuis bien longtemps du moins, ceux à qui l’on appliquait ce mot n’avaient aspiré à demeurer de père en fils les chefs politiques de la nation. Aristocrate ne signifiait plus que le possesseur ou le partisan de certaines inégalités agréables pour quelques-uns, sans utilité pour personne, de privilèges sans puissance, d’immunités sans obligations, de titres presque uniquement appréciés par la vanité ou l’imagination, de prérogatives d’autant plus choquantes qu’elles étaient moins fondées sur la raison politique. Il fallait reprocher à ceux qu’on dénonçait follement d’avoir eu de l’aristocrate l’apparence et non l’effet, l’accessoire et non le principal, quelque chose de ce qui blesse et bien peu de ce qui sert. C’était un malheureux hasard de la naissance, celui qui n’imposait ou plutôt ne permettait à ses élus d’autres vertus publiques que les vertus militaires dans une nation où elles sont à tout le monde.

Les princes du sang étaient apparemment les modèles et les chefs de la noblesse, et le grand Condé était certainement le chef et le modèle des princes du sang. Il a obtenu et gardé dans la postérité le nom que les hommes ont le moins prodigué. Juger par lui du reste, ce n’est donc déprécier personne. Écartons tout ce qui dépare son caractère. Laissons ses vices s’effacer dans la splendeur de sa renommée. Il avait le génie d’un soldat et une noble passion, une seule peut-être, et qui pouvait tourner au profit de l’état, celle de la gloire des armes; mais au service de quelle cause cette gloire serait gagnée, peu lui importait. Quand la pensée du bien public a-t-elle rempli son âme ou dirigé sa conduite? Je veux qu’il ait convoité le pouvoir, c’est-à-dire l’influence à la cour, la distribution des faveurs et des pensions; mais a-t-on jamais prétendu, insinué seulement qu’il eût l’envie d’être puissant pour réaliser un plan de vaste politique qui fît la France plus grande ou seulement plus heureuse? Était-il obsédé de l’idée d’abaisser la maison d’Autriche, de nous donner une frontière dans les Pays-Bas, de rendre une existence constitutionnelle à la noblesse, de fonder la périodicité des états-généraux, l’uniformité de la législation, un système équitable et universel d’impositions, une institution quelconque en un mot? Il n’y a pas songé un jour du temps qu’il était ambitieux, et quand il