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de la société se sont confondues dans un même sentiment, et le plus grand nombre des spectateurs ignorait peut-être les présages du 12 février 1815.

Ainsi don Federico, en peignant le médecin de sa majesté Ferdinand VII, a bien mérité de son pays et de l’Europe. Il a montré clairement jusqu’où peut atteindre la puissance du pinceau. Cependant notre joie n’est pas sans mélange. Le prodige raconté par M. Ochoa, dont nous admettons sans hésiter l’authenticité parfaite, est un prodige opéré par un peintre prédestiné. Entre la reine Marie-Christine au chevet de son mari et la conversion du prince allemand, il existe une relation que rien ne saurait effacer. Il y a donc lieu de craindre que le prodige ne porte pas profit. Don Federico a franchi les limites naturelles de la peinture : qui oserait le nier? mais pourquoi les a-t-il franchies? Parce qu’il était doué dès son berceau d’une puissance surhumaine. Ce qu’il a fait, d’autres ne pourront pas le faire, à moins que leur baptême n’ait été accompagné de présages merveilleux. Si leur parrain n’a pas été récusé par le prêtre officiant pour cause d’hérésie, il faudra qu’ils se résignent à suivre les erremens vulgaires. Ils tenteraient vainement de marcher sur les traces de don Federico. C’est là sans doute un légitime sujet d’affliction. Je ne veux pas leurrer les peintres d’Europe en leur proposant comme facile une tâche qui sera toujours au-dessus de leurs forces; qu’ils ne perdent pourtant pas courage, qu’ils s’acheminent vers Madrid, et obtiennent la vue du chef-d’œuvre! Un tel pèlerinage leur méritera peut-être la faveur du ciel; en voyant le médecin de sa majesté Ferdinand VII, ils méditeront sur la mesquinerie de leurs ouvrages, et, de retour dans leur patrie, ils concevront les projets les plus hardis. Si la première place n’appartient qu’aux peintres prédestinés, on peut encore être grand en demeurant au-dessous d’eux.

Pour nous, qui n’aspirons pas à la gloire, dont la tâche modeste se réduit à la recherche de la vérité, nous aurons soin désormais de ne jamais parler d’une œuvre nouvelle sans avoir recueilli des informations précises sur le compte de l’auteur. Si les astrologues ont observé à l’heure de sa naissance des conjonctions caractéristiques, nous les mentionnerons, afin d’alléger la responsabilité qui nous est imposée. S’il nous arrive de prononcer des jugemens singuliers, d’approuver ce que la foule désapprouve, nous ne craindrons pas d’exciter l’étonnement, car nous ajouterons à nos paroles l’autorité des présages. Nous pourrons traiter légèrement les lois du dessin, et ne pas exiger dans les contours du bras, dans la longueur des phalanges, dans l’attache du poignet, le respect scrupuleux du modèle. Nous verrons sans surprise le peintre ne tenir aucun