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querelle, quand je trouverai sous ma plume une locution qui ressemble de près ou de loin à une prétention, je me hâterai de l’effacer, je la bifferai sans pitié. Puisqu’il y a au-delà des Pyrénées des esprits ergoteurs qui aiment la prétérition et se plaisent à la chercher partout, puisque pour ces rhéteurs déterminés non signifie oui, j’aurai grand soin de négliger toutes les formes de langage qui peuvent se prêter à des interprétations contradictoires.

Si j’ai cru à la présence d’un portrait que je ne voyais pas, je me suis abstenu d’en parler. M. Théophile Gautier, dans le Moniteur du 29 décembre 1855, n’a pas été aussi prudent. Il parle du portrait de la reine connue d’un ouvrage qu’il a devant les yeux; il énumère avec complaisance toutes les qualités qui le recommandent, tous les mérites qui le désignent à l’admiration. M. Madrazo n’a pas protesté contre cette étourderie. Les éloges prodigués au portrait ab- sent de la reine Isabelle ne l’ont pas ému. L’excellence de l’intention a suffi pour le contenter. Il n’a pas accusé de mauvaise foi M. Théophile Gautier, qui louait sans le voir le portrait dont je ne parlais pas. ne l’ayant pas vu, et d(mt je n’aurais pas voulu parler, lors même qu’il eût été présent. Il n’y a pas deux manières de comprendre le jugement publié par M. Gautier dans le Moniteur du 29 décembre; tous les mots sont affirmatifs, et pourtant M. Madrazo n’a pas réclamé[1].

Mais revenons à la question grammaticale, car c’est la seule manière d’édifier le public sur la valeur de la querelle que me fait M. Madrazo. Pour défier toute équivoque, pour ne laisser aucun doute sur la nature de ma pensée, même à ceux qui ne connaissent pas parfaitement notre langue, et je crois que M. Madrazo est de ce nombre, j’aurais pu substituer le conditionnel à l’indicatif et dire : « Ce serait me montrer trop sévère que de lui demander pourquoi il n’aurait pas fait de la reine et du roi deux portraits magnifiques. » Grâce à l’emploi de ces deux conditionnels, je n’aurais pas eu à redouter les arguties castillannes; mais j’aurais fait un solécisme, et pour tous ceux qui connaissent les lois de la syntaxe française, ma phrase aurait signifié : « Je ne lui demanderais pas pourquoi il aurait le projet de ne pas fa le de la reine et du roi deux portraits magnifiques! » Je respecte profondément les arrêts de la justice; dans les questions de droit je ne récuse pas l’autorité des tribunaux, mais dans les questions de grammaire je crois sincèrement que Vaugelas et Beauzée en savent plus que Gaïus et Pothier. Si la justice m’ordonne de faire un solécisme pour échapper à toute équivoque, je

  1. Voici ce qu’écrivait M Gantier dans le feuilleton du Moniteur du 29 décembre 1855 : « Les portraits de S. M. La reine Isabelle et de S. M le roi don Francisco de Asis ont cet aspect riche, étoffé et pompeus, qui convient à la peinture d’apparat, et tiendront magnifiquement leur place dans une salle du trône. »