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septentrionaux; mais si, restant fidèle à la pensée de ceux qui ont les premiers conçu cette entreprise, on la considère plutôt comme un moyen que comme un but, si on veut y voir l’instrument de civilisation le plus paissant qui puisse féconder le Nouveau-Monde entier dans toutes les parties où la nature ne repousse pas absolument les efforts de l’homme, il faut renoncer à donner la préférence à la ligne du 32e degré. Jamais l’on ne groupera sur ce parcours une population dense et serrée, jamais la race anglo-saxonne ou allemande ne s’acclimatera dans les déserts du Nouveau-Mexique; elle ne se transportera naturellement qu’à des latitudes plus élevées. Les provinces de l’Amérique situées sous le 45e et le 42e degrés de latitude présentent à peu près, au moins dans beaucoup de parties, les mêmes caractères généraux, le même climat, les mêmes ressources naturelles que les états actuels de l’Union où l’émigration se dirige : l’eau et le bois y sont plus abondans que dans les latitudes voisines du Mexique et plus rapprochées du tropique. Les vallées et les plaines de l’Orégon, dont quelques-unes sont d’une richesse et d’une fertilité vraiment inouie, pourraient nourrir une population égale à la moitié de celle de l’Europe. La Californie du nord sert déjà de noyau à une véritable nation, qui a ses villes, ses vaisseaux, ses routes, et commence à construire ses chemins de fer. Cette partie de l’Amérique est devenue le centre des pêcheries de l’Océan-Pacifique, dont l’importance va chaque jour grandissant. Les mormons enfin ont réussi à fonder, dans le bassin isolé du Grand-Lac-Salé, sans appui, sans communication avec le dehors, un établissement qui prospère malgré les élémens dissolvans qui minent leur étrange communauté.

Sans chercher à préciser le tracé du chemin de fer du Pacifique, on sent bien que c’est vers les régions du nord qu’il faut le diriger; c’est là que le travail libre doit trouver, pour des siècles, des terres vierges à défricher; c’est dans cette voie que l’activité américaine doit se porter, au lieu d’aller s’éteindre et s’énerver dans les solitudes du Mexique, où une forte et noble race a déjà trouvé son tombeau. Les avantages d’une route septentrionale sont si évidens, que les Anglais du Canada ont songé à l’établir dans leurs possessions, bien que le climat y soit déjà beaucoup plus rigoureux que sous les latitudes de 47 et de 45e degrés. L’établissement d’une communication directe entre les grands lacs et l’Océan-Pacifique a depuis quelque temps attiré l’attention de plusieurs officiers anglais, et bien qu’aucun de ces projets n’ait été soumis à une étude détaillée, il sera peut-être utile de faire connaître celui du capitaine M. H. Synge[1].

  1. Journal de la Société géographique de Londres, 1852. — Proposal for a rapid communication with the Pacific and the East, via British North America, by cap. M. H. Synge.