Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/611

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

baptisèrent du nom de sources de bière. Frémont trouva même au haut d’une colline un petit cratère circulaire parfaitement régulier. Il entra dans la pittoresque vallée de la rivière de l’Ours, qui forme le principal tributaire du Grand-Lac-Salé, et la descendit sur son canot de caoutchouc jusque vers l’embouchure, dont il trouva les bords, ainsi que ceux du lac, tout couverts d’efflorescences salines. Il ne craignit pas d’aventurer son frêle canot sur les flots agités de cette mer intérieure, bien qu’il eût entendu raconter par les trappeurs que les eaux vont s’y engloutir en tourbillonnant dans un gouffre souterrain, et qu’on ne peut s’y confier sans danger. Le premier de tous les voyageurs, il visita les îles qui sont semées sur le lac, et forment comme les sentinelles des âpres montagnes qui le dominent de toutes parts. Frémont devina du premier coup que le bassin du Grand-Lac-Salé deviendrait un jour un centre de population : des bois magnifiques, de l’eau pure, un sol extrêmement fertile, d’excellens pâturages, l’abondance du sel, font de cette région une véritable oasis au-delà des Montagnes-Rocheuses. C’est aussi Frémont qui devait plus tard exalter le plus vivement la merveilleuse fertilité et les richesses naturelles de la Californie, et deviner l’avenir magnifique qui attend cette partie du continent américain. Il est assez singulier qu’il ait été réservé au même voyageur de pressentir les destinées futures du bassin des lacs salés et celles de la Californie, qui sont aujourd’hui les points les plus curieux de l’Amérique du Nord. Bien entendu, son don de prophétie ne pouvait aller jusqu’à prévoir quelle étrange population irait bientôt se grouper près de ce grand lac qu’il avait le premier parcouru, ni quel puissant stimulant viendrait, en dehors des ressources du sol, activer l’émigration californienne.

Après avoir quitté les bords du Grand-Lac-Salé, Frémont entra dans les plaines de l’Orégon, et remonta la branche méridionale de la Colombie, ou rivière Lewis, à laquelle l’absence de bois et la sécheresse du sol donnent l’apparence d’un désert. Arrivé au confluent de la Rivière-aux-Malheurs, il quitta les bords de la rivière Lewis, qui plus loin s’engage dans d’impraticables cañons, et entra dans une contrée montagneuse, couverte d’herbes et de forêts épaisses, où la végétation est d’une vigueur qu’on ne retrouve pas dans les régions occidentales de l’Amérique et dans celles de l’Europe situées à la même latitude. Ce groupe de montagnes, qui portent le nom de Montagnes-Bleues, forme la limite des régions fertiles et boisées du côté des déserts du Grand-Bassin. Nous appellerons désormais avec Frémont de ce nom de Grand-Bassin la contrée comprise entre les Montagnes-Rocheuses et la chaîne de la Sierra-Nevada californienne. Ce bassin intérieur et d’une immense étendue a, comme nous l’avons dit, un système hydrographique propre, des fleuves qui ne vont se