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d’ailleurs que les trappeurs ordinaires soient des hommes tout à fait grossiers. L’habitude du danger, la nécessité de ne jamais compter que sur soi-même, une activité sans trêve, une communication constante avec une nature qui a conservé la grandeur et le charme mystérieux de la solitude, semblent faites pour relever et ennoblir les natures les plus vulgaires.

Frémont, dont nous voulons raconter les voyages, était un simple trappeur avant de devenir un officier du gouvernement américain et l’un des hommes les plus considérables de l’Union. Il y avait bien longtemps que l’exploration des terres comprises entre les États-Unis et l’Océan-Pacifique avait fixé l’attention du cabinet de Washington. Dès 1804 Jefferson avait envoyé les capitaines Lewis et Clarke à la recherche d’une voie de communication directe à travers le continent américain, soit par la Colombie, soit par le Rio-Colorado. Ces officiers remontèrent le Missouri, dépassèrent les Montagnes-Rocheuses, et suivirent les eaux de la Colombie jusqu’à l’embouchure de ce fleuve. En 1810, le major Pike fut chargé d’étudier le versant oriental des Montagnes-Rocheuses, et toutes les expéditions postérieures se bornèrent à reconnaître les vallées du Missouri et du Mississipi. Ce n’est que de 1833 à 1838 que Nicollet visita la contrée située au-delà des branches septentrionales du Mississipi. Le gouvernement américain lui adjoignit plus tard Frémont, et pendant deux ans les deux explorateurs réunis parcoururent de nouveau les régions reconnues de 1833 à 1838. Frémont seul fut ensuite chargé d’aller, à une latitude plus méridionale, examiner toute la contrée qui s’étend jusqu’aux Montagnes-Rocheuses, en suivant la vallée de la rivière qu’on appelle indifféremment la Flatte ou la Nebraska, et qui, coulant à peu près sur toute sa longueur dans la direction de l’est à l’ouest, va se jeter dans le Missouri. La Nebraska est aussi longue qu’un de nos grands fleuves d’Europe, et pourtant elle n’est que l’affluent d’un affluent du Mississipi.

Frémont fit son premier voyage en 1842 : il partit de Saint-Louis avec vingt-trois hommes, tous armés et montés, sauf huit d’entre eux qui conduisaient les chariots chargés des provisions, des bagages, des instrumens, et traînés chacun par deux mulets. Quelques chevaux de rechange et des bœufs complétaient la caravane. C’est ordinairement en troupes assez nombreuses qu’on parcourt le territoire indien pour se défendre contre les attaques des nomades, et encore empêche-t-on difficilement les Indiens de venir la nuit se glisser jusque dans le camp pour voler les chevaux. Les caravanes qui traversent la prairie américaine sont bien différentes de celles qui parcourent les déserts sablonneux de l’Arabie : au lieu d’une longue file de chameaux, on ne voit qu’une suite monotone de voitures