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devait le désoler. C’était pour lui une bonne fortune que lord John Russell se fût prononcé, comme M. Cobden, pour l’abolition immédiate et complète des lois sur les céréales ; sir Robert Peel se retrouvait ainsi dans cette situation de modérateur et d’arbitre qu’il avait toujours cherchée, et qui était naturellement la sienne. Il avait à demander aux conservateurs de grands sacrifices, mais ce n’étaient pas les sacrifices extrêmes ; il ne voulait que la suspension actuelle des droits sur les grains pour arriver, par une réduction progressive et dans un temps fixé, qui pouvait être plus ou moins long, à une suppression définitive. Les whigs et les radicaux étaient bien plus exigeans. Les conservateurs se voyaient ainsi placés entre une réforme soudaine, absolue, et l’une de ces réformes mesurées et graduelles qu’au milieu des plus grands mouvemens d’intérêt ou d’opinion le gouvernement, l’aristocratie et le peuple anglais ont su tant de fois accepter et accomplir.

Mais ni le parti conservateur, ni l’opposition whig ou radicale, ni la population, ni sir Robert Peel lui-même n’étaient cette fois en humeur de se conduire avec cette sagesse prévoyante qui pense à tout, tient compte de tout, et s’inquiète de maintenir la bonne politique générale, même quand une idée unique et fixe règne comme une épidémie et domine les esprits.

Je trouve dans un discours très bref, prononcé le 9 février 1846 dans le premier débat sur la nouvelle législation commerciale de sir Robert Peel, par un membre obscur de la chambre des communes, M. Hope, représentant de Maidstone, cette explosion de mécontentement encore plus que de dissidence : « Nous sommes venus ici, mardi dernier, pour apprendre quels étaient les changemens qu’avait à nous proposer l’honorable baronet, et quels motifs l’y avaient déterminé. Quel a été l’argument par lequel l’honorable baronet a soutenu ses mesures pour la liberté du commerce ? Il a dit qu’elles étaient d’accord avec les principes de la vraie politique conservatrice. Qu’entend l’honorable baronet par ces mots : « vraie politique conservatrice ? » Le torysme est quelque chose de palpable, le whiggisme est quelque chose de palpable ; la protection, le commerce libre, sont quelque chose de palpable : tous ces mots ont un sens clair ; mais quel est le sens de cet étrange nouveau mot : conservatisme ? mot qui est né depuis 1832, lorsque le vieux parti tory, divisé et démembré, ne savait comment se réunir sous une seule et même bannière. Qu’est-ce que ce conservatisme, qui n’est animé de l’esprit ni du torysme, ni du whiggisme, mais de l’esprit « de la vraie politique conservatrice ?… » Il y a eu jadis un ministre très puissant ; c’était bien longtemps avant que la chambre des communes devînt ce qu’elle est aujourd’hui, dans un temps où le gouvernement de l’Angleterre appartenait à la couronne, et ce ministre gouvernait