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prit démocratique et l’esprit scientifique coalisés pour dominer le gouvernement. Quand sir Robert Peel en 1842 avait établi l’income-tax, il l’avait fait, non par choix, ni dans aucune vue systématique, mais pour satisfaire à une nécessité pratique et pressante, pour combler un déficit croissant, pour remettre l’ordre dans les finances de l’état. Aucun motif semblable ne commandait plus cette taxe ; le revenu public surpassait la dépense ; on pouvait laisser tomber un remède extraordinaire employé contre un mal maintenant guéri. Pourquoi sir Robert Peel persistait-il à l’employer encore ? Était-ce pour amasser dans les caisses de l’état une grosse épargne, ou pour éteindre plus rapidement la dette publique ? Non certes ; c’était uniquement pour être en mesure de faire une grande expérience, d’introduire grandement dans l’administration de l’état ce principe de la liberté du commerce proclamé par la science, et qui n’avait encore été que partiellement et timidement pratiqué. Et d’où ce principe tirait-il assez de force pour se faire ainsi accepter, malgré tant d’intérêts contraires, du gouvernement et de l’opposition tout ensemble ? Était-ce de son seul titre comme vérité abstraite et scientifique ? Nullement ; quel que fût leur respect pour Adam Smith et Ricardo, ni sir Robert Peel, ni lord John Russell n’étaient possédés à ce point de la foi philosophique ; une foi bien autrement armée et impérieuse, le plus grand bien-être du plus grand nombre de créatures humaines reconnu comme but suprême de la société et du gouvernement, c’était là la puissance supérieure dont sir Robert Peel s’était fait le ministre, et qui pesait sur tous ses adversaires, les uns dominés comme lui, les autres intimidés et paralysés par cette grande idée, clairement ou obscurément présente à leur esprit, soit comme un droit incontestable, soit comme un fait irrésistible. C’est là de nos jours le dogme démocratique par excellence, et ce sera la gloire de sir Robert Peel, comme ce fut sa force, d’en avoir été le plus sensé, le plus honnête, et pour une société bien réglée le plus hardi représentant.

XIV.

La passion aveugle et illumine tour à tour les hommes. Les partisans passionnés de l’abolition des droits à l’importation des grains s’étonnaient et s’alarmaient du silence de Peel sur la question. Ils auraient dû s’en féliciter. Il était évidemment perplexe, peu satisfait du résultat des modifications qu’il avait déjà apportées dans les lois sur les céréales, mais ne sachant pas bien jusqu’où il devrait aller s’il y portait encore la main, et attendant qu’il lui vînt du dehors soit des clartés assez vives, soit une impulsion assez forte pour