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affaires d’industrie, et d’habitude le révérend Annesley lui soumettait ses plans de sermons. Sir John n’aurait jamais osé engager son grand procès, si sa belle-sœur lui avait dit de renoncer à ses légitimes prétentions. Lui-même, cet homme si brusque, si résolu, il se trouvait dans la dépendance de miss Osborne. Sa grande passion pour les voyages n’avait peut-être pas d’autre origine; ce n’était que sur les grands chemins qu’il se sentait vraiment libre et maître. A Genève, loin de sa belle-sœur, il avait marié sa fille à sa fantaisie, sans prendre conseil de personne; à Saint-Alban, il n’aurait jamais eu cette audace.

Toute une année s’écoula ainsi pour Maxime dans le demi-sommeil d’un bonheur domestique inaltéré, doux et monotone. Au milieu de ce grand repos, dans ce calme bien-être, il oubliait la patrie perdue, ses misères et ses souffrances; de l’Italie, il ne gardait qu’un souvenir vague et confus, mêlé de dédains, et, sans oser encore renier ce noble pays, il s’en détachait de plus en plus, il se donnait avec ses plus vives sympathies à la patrie adoptive ; il entrait de cœur dans cette grande société britannique si puissamment ordonnée, et, se dénationalisant de son mieux, il s’efforçait de se façonner une âme anglaise.

Il croyait y avoir pleinement réussi, lorsque tout à coup je ne sais quelle tristesse l’envahit, vague et persistante, sous mille formes, inopinément, sans motifs apparens, au milieu de cette tranquillité si parfaite. Que lui manquait-il? de quoi pouvait-il se plaindre? pourquoi ce vide profond dans son âme, et si soudainement cet ennui incurable? Se plaindre! et pourquoi? Le pouvait-il sans injustice? N’avait-il pas trouvé dans sa nouvelle famille la plus large, la plus loyale hospitalité? La riche Angleterre ne lui donnait-elle pas à profusion tout ce qu’elle offre à ses favoris, une vie noble, honorée, luxueuse, l’abondance de tous les biens terrestres? Qu’a-t-elle de plus à donner au monde? Et lui, n’avait-il pas accepté sans réserve le calme de cette vie heureuse et facile, oisive, oublieuse de tout sacrifice? Espérances de patriote, ardeurs de jeunesse, ambitions de gloire et de dévouement, il avait tout renié dans son cœur; il se croyait à jamais libre de toute passion généreuse, et voilà qu’au lendemain même d’une si complète abdication, il se réveillait avec des tressaillemens, des ardeurs, des inquiétudes, dont il n’osait s’avouer l’origine. Au fond, l’idée de l’Italie, cette idée qu’il avait entrepris d’effacer de son âme, y avait reparu avec tout son cortège d’espérances fiévreuses et de poignantes tristesses. Dans les jours mêmes où Maxime semblait le plus complètement gagné au noble prestige de la vie anglaise, il suffisait d’une rencontre, d’une lettre, de quelques lignes lues dans un journal pour le replonger dans