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avait si bien enraidi ses gestes, sa voix, sa figure, que les Harris disaient de lui avec admiration : Qui se douterait jamais que c’est là un Français?

Au bout de huit jours, sir John prit un prétexte politique pour enlever les nouveaux mariés. Il avait trouvé dans son gendre un compagnon de voyage infatigable, insouciant, toujours disposé à courir le monde, et il n’était pas d’humeur à lui laisser prendre de si tôt des habitudes casanières. Il s’arrêta deux jours à Londres pour prononcer un discours sur les événemens d’Italie et présider un meeting hongrois, puis il s’embarqua pour l’Orient. Au printemps, sir John, Olivia et Maxime partirent pour l’Espagne, et pendant deux années ils voyagèrent ainsi du nord au sud, de l’est à l’ouest. Qu’importait à Maxime, qui n’avait plus de patrie? Avec Olivia, il aurait consenti à vivre chez les Esquimaux.

Ces voyages auraient pu se prolonger indéfiniment, si le beau-père de Maxime n’eût été rappelé en Angleterre par de grands intérêts de famille : il s’agissait de défendre une succession très importante que lui disputaient des collatéraux éloignés. Le bateau qui les ramenait s’arrêta quelques jours à Malte pour faire du charbon. Il y avait là une sorte de comité italien, composé d’émigrés et de conspirateurs de la pire espèce. A les entendre, ils étaient toute l’Italie; ils parlaient en son nom, ils décrétaient de trahison ses plus dévoués serviteurs. Certes de pareils drôles n’avaient rien de commun avec ces nobles exilés qui portent si haut l’honneur du nom italien. Leur grand meneur était un certain Ferletti, dont sir John s’était engoué. Ils étaient là une dizaine d’orateurs qui se disputaient haineusement un lambeau d’autorité sur quelques pauvres diables ahuris qu’ils s’imaginaient gouverner; au fond, ils n’étaient que des instrumens dans la main de l’habile Ferletti, leur secrétaire, qui les faisait marcher à sa guise, en s’inclinant toujours devant eux. Ce fieffé coquin ne manquait ni d’esprit ni de patriotisme. Sir John l’avait vu dans le temps à Livourne, et, le retrouvant à Malte, il s’empressa de le recommander très chaudement à Maxime. Maxime se laissa entraîner à leurs réunions. On y parlait d’une descente prochaine en Italie; on annonçait une prise d’armes générale sur la côte et dans les montagnes; une vingtaine des leurs se tenaient prêts à partir. Ces projets étaient insensés. Maxime essaya de dissuader ses compatriotes; il éveilla les plus vives méfiances. Tous ces regards sombres et soupçonneux qui se portaient sur lui semblaient lui dire : Et vous, que faites-vous depuis deux ans? qui êtes-vous pour vous jeter en travers des grandes choses? — Alors il eut l’insigne faiblesse de céder à ces reproches muets. Noble, riche, heureux et libre, objet d’envie pour tous ces fanatiques, exaspérés par les misères de l’exil, il voulut