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ville, il se trouva oublié dans un vieux château qu’on avait provisoirement converti en prison, et si bien oublié, que le geôlier resta tout un jour sans lui apporter à manger. Maxime s’attendait à être fusillé, mais nullement à mourir de faim sans jugement. Enfin il reçut la visite d’un magistrat de village, qui feignit de l’interroger pour l’acquit de sa conscience, mais au fond ignorait tout à fait pour quelle raison on lui mettait ce prisonnier sur les bras. Il n’en avait nul souci, on ne le revit plus.

Maxime était là depuis deux jours dans une chambre humide sans nouvelles du dehors, vivant de pain et d’eau. Il n’avait vu qu’une fois son geôlier et n’avait rien pu en tirer. Dans la soirée, cet homme si taciturne entra chez Maxime de très belle humeur, et déposa sur la table un excellent souper. — Voilà un geôlier bien aimable, se dit le comte; décidément je vais être fusillé. — Il se rappelait avoir lu dans son enfance que c’était l’usage dans les prisons d’offrir un petit festin de prince aux prisonniers condamnés à mort.

Le geôlier entr’ouvrit sa veste et tira mystérieusement un paquet de cigares. Maxime ne savait comment le remercier. — Je n’ai ni argent, ni bijoux. Vos chers Croates m’ont volé comme dans un bois. Partageons au moins ces cigares. — Il déchira l’enveloppe et la jeta devant lui. Le geôlier ne cessait de lui montrer ce papier qui avait servi à rouler les cigares, il le montrait avec toute sorte de clignemens d’yeux, et comme Maxime ne comprenait rien à ces grimaces amicales, le geôlier s’éloigna en haussant les épaules. En revenant chercher ses assiettes, il ramassa ce papier et l’étala sur la table. Maxime finit par ouvrir les yeux. Une main bien connue avait écrit sur cet horrible et charmant chiffon les versets de Ruth. Il ne cessait de les relire en s’efforçant de les prononcer à l’anglaise.

A la nuit, le geôlier vint fermer et refermer les portes à triple tour : on l’entendait aller et venir à grand bruit de clés, faisant grincer les verroux dans les serrures. Jamais il n’avait eu une mine si farouche. Vers dix heures, ces portes si bien fermées s’ouvrirent sans bruit, d’elles-mêmes pour ainsi dire, et le geôlier entra chez Maxime, une lanterne sourde à la main. — Silence! lui dit-il; mettez ces chaussons de lisière, et suivez-moi. — Au bout du corridor, il éteignit sa lanterne, et, prenant Maxime par la main, il descendit jusqu’au jardin par un escalier dérobé.

Ce jardin donnait sur les derrières de la prison, et pour détourner l’attention des gens de service, le geôlier avait eu soin de lâcher les chiens de garde dans la grande cour d’entrée; on entendait de loin leurs aboiemens furieux. La sentinelle du jardin se promenait de long en large devant le mur. Dès que le soldat eut tourné le dos, Maxime et son guide se glissèrent à pas de loup sous les charmilles. Arrivés