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longtemps le silence, ne nous inquiétons pas davantage de la folle réclamation du maître d’école bavarois; ces anecdotes qui ont rempli les journaux ne sont pas dignes de l’histoire littéraire; M. Halm est bien réellement l’auteur du Gladiateur de Ravenne, c’est de son drame seul que je dois parler. Or l’œuvre de M. Frédéric Halm est moins une composition dramatique qu’une généreuse exhortation à l’Allemagne. L’invention n’y brille pas, l’action est à peu près nulle; mais quel sentiment de la mission des peuples germaniques ! que de reproches éloquens ! Avec quelle poignante amertume l’auteur flétrit les divisions qui paralysent les vertus de sa race ! Tout l’intérêt est là. Déjà deux poètes d’un génie véhément et bizarre, Henri de Kleist et Christian Grabbe, dans deux drames qui portent le même titre, la Bataille d’Hermann, avaient évoqué les Germains barbares pour donner des leçons à l’Allemagne du XIXe siècle. M. Halm reprend ce thème, et il y déploie les qualités qui lui sont propres. Point de bizarreries dans son tableau; tout est clair, net, sensé. On voit que M. Halm a étudié les maîtres de la France. Il se préoccupe de l’unité de son œuvre, il met en scène une situation simple, et l’invention, qui est absente de sa fable, éclate dans l’expression des idées. Il ne redoute pas une certaine rhétorique à la Corneille, il est sentencieux et redondant, mais il développe des sentimens énergiques, et il a réussi à émouvoir la foule.

C’est encore le théâtre de Vienne qui vient de donner à l’Allemagne deux drames justement applaudis, le Prince Frédéric et le Comte d’Essex, de M. Henri Laube. M. Henri Laube est l’un des plus habiles directeurs de théâtre qu’il y ait aujourd’hui en Allemagne; il renouvelle sans cesse son répertoire par d’heureux emprunts faits aux scènes étrangères; il a remis en lumière maintes pièces de Shakspeare qu’on ne joue guère plus à Londres. Cette jolie comédie du Village, publiée ici même par M. Octave Feuillet, il en a confié la traduction à la plume spirituelle de M. Bauernfeld, et il l’a représentée à Vienne avant que le Théâtre-Français l’eût donnée à Paris. M. Henri Laube n’est pas seulement d’ailleurs un directeur intelligent et actif, il n’oublie pas qu’il est poète. Il avait écrit dans sa jeunesse une série de drames et de comédies où l’élégance de la forme ne rachetait pas l’insuffisance du fond. Mûri par l’expérience, son talent a grandi. A sa dextérité habituelle dans la combinaison des effets il ajoute aujourd’hui l’étude sérieuse des caractères. La peinture de la jeunesse de Frédéric II atteste en maints endroits une rare pénétration et une grande force dramatique. M. Charles Gutzkow avait traité un sujet analogue dans sa comédie la Queue et l’Epée; le Frédéric II de M. Henri Laube est plus complet que celui de M. Gutzkow. L’auteur de la Queue et l’Épée n’a peint que le côté fantasque