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l’Allemagne, débarrassez-vous des subtilités de l’école, et peignez franchement le monde qui vous entoure. Il y a partout un besoin de réhabilitation morale. Ce peuple veut se renouveler pour agir. Aidez-le à se dégager de ses liens, au lieu de le retenir dans les régions malsaines. Vous avez fait longtemps la guerre à ce romantisme maniéré des Clément de Brentano qui affadissait les intelligences; prenez garde que vos romans ne composent un romantisme démocratique plus pernicieux que le romantisme des illuminés. Ce sont les derniers romans de Mme Fanny Levvald-Stahr qui me suggèrent ces réflexions. Mme Lewald-Stahr est une femme d’esprit, elle a montré un vrai talent dans maintes peintures de la vie sociale; il est temps pour elle de renoncer à des théories indignes de son talent. Les généreuses inspirations qui l’animent forment une contradiction flagrante avec la philosophie qu’elle affiche. Il est impossible à un juge impartial de lire ses récits jusqu’au bout sans être péniblement combattu. Qu’elle compare son roman les Transformations avec le Doit et Avoir de M. Gustave Freytag. Certes il y a assez de mérite dans l’œuvre de Mme Lewald-Stahr pour qu’elle pût prétendre à un succès; mais M. Freytag a compris et satisfait les secrètes aspirations de son pays, l’auteur des Transformations n’a fait que peindre, et peindre, hélas! avec amour, les maladies morales dont l’Allemagne veut guérir.

Le reproche que j’adresse à Mme Lewald-Stahr atteste la confiance que j’ai dans son mérite. Il est des écrivains à qui l’on a droit de demander un continuel progrès. Notre époque a été agitée par des systèmes qui se disputaient les intelligences, et souvent ce sont de nobles esprits qui adoptent les plus mauvaises doctrines, parce qu’ils y portent leur propre générosité et les transfigurent ainsi à leur image. Le devoir de la critique est de rappeler avec cordialité ces rêveurs qui s’égarent, et quel bonheur pour elle le jour où sa voix est entendue! Voici un exemple de ces transformations qui valent mieux que celles de Mme Lewald-Stahr; ce sont les transformations d’une âme qui cherche le vrai et qui s’en approche chaque jour davantage. M. Berthold Auerbach, sous le coup des révolutions de 1848, avait pu céder involontairement à de fâcheuses influences. Dans quelques-unes de ses dernières histoires de village et dans sa Vie nouvelle, il avait laissé la religion du panthéisme se substituer peu à peu à cette belle religion naturelle qui anime l’histoire du Tolpatsch et du séminariste Ivon. Son drame d’André Hofer, au milieu de scènes excellentes, semblait recommander aux peuples allemands de se défier de l’enthousiasme, et vraiment l’heure était mal choisie pour une prédication de ce genre. Aujourd’hui M. Berthold Auerbach est revenu aux meilleures inspirations de ses premiers livres. Ces inspirations, il les a fortifiées encore; je dirai même qu’il a frayé une